Transparence, responsabilité et légitimité de la Banque centrale européenne

Giuseppe Diana, Cour des comptes européenne.

Dans cet article, nous avançons la thèse que la Banque centrale européenne (BCE) devrait accroître son degré de transparence, notamment en rendant publiques les délibérations du Conseil des gouverneurs. Cela aurait pour conséquence de rendre sa politique monétaire plus lisible et donc plus efficace. Cela lui permettrait également d’augmenter sa légitimité démocratique, unique rempart contre les critiques répétées et souvent infondées dont elle fait l’objet.

Mots-clefs : Banque centrale européenne (BCE), indépendance de la banque centrale, objectifs de la Banque centrale européenne, transparence et communication des politiques.

Citer cet article

Giuseppe Diana « Transparence, responsabilité et légitimité de la Banque centrale européenne », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 18, 11 - 13, Eté 2008.

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Aujourd’hui nous savons, et cela constitue certainement l’une des avancées majeures de la science économique des trente dernières années, que l’efficacité d’une politique économique passe d’abord et avant tout par l’effet qu’elle exerce sur le comportement des agents privés. Dans ce contexte, l’information devient une variable stratégique fondamentale. Il faut que l’information donnée par le décideur public soit à même d’inciter les agents privés à prendre les décisions qui permettront à la politique économique d’atteindre son maximum d’efficacité.

Si ce constat est valable pour l’ensemble des politiques économiques, il est particulièrement pertinent pour la politique monétaire. Pour illustrer ce point, prenons l’exemple d’une politique monétaire désinflationniste annoncée par l’autorité monétaire. Si les salariés pensent que cette politique est souhaitable et qu’elle sera couronnée de succès, ils mèneront les négociations salariales avec davantage de modération, ce qui va largement contribuer à la réussite de la politique de désinflation. Dans le cas contraire, ils vont continuer à réclamer des hausses de salaires soutenues ce qui pèsera sur les coûts de production et sur les prix et vouera la politique de désinflation à l’échec. Il convient de souligner que dans les deux cas, les salariés ont fait le bon pronostic sur l’efficacité de la politique de désinflation dans la mesure où c’est leur propre comportement qui contribue à la validation de leur anticipation. Cet exemple illustre bien le fait que la réussite d’une politique monétaire repose essentiellement sur la manière dont elle est appréhendée par les agents privés et le cas échéant intégrée dans leurs propres choix. Naturellement, les agents privés essaient d’anticiper correctement les résultats de la politique pour prendre les décisions qui leur assureront un niveau élevé de bien-être. C’est pourquoi les déclarations des banquiers centraux sont analysées, décortiquées par les agents privés afin d’en extraire le maximum d’information nécessaire à la détermination de leur comportement. Par ailleurs et dans la mesure où ce sont les agents privés qui détiennent les clés de la réussite de la politique monétaire, ces mêmes déclarations sont ciselées par les banquiers centraux qui y distillent l’information qu’ils désirent faire passer.

Dans ce contexte, la question qui se pose naturellement pour les banquiers centraux est de décider quelles informations doivent être communiquées au public et quelles informations ne doivent pas l’être.

On est ici au cœur du thème de la transparence des banques centrales. En effet, la transparence peut être définie comme l’absence d’asymétrie d’information entre l’autorité monétaire et les autres agents économiques.

Ainsi, il y a transparence parfaite lorsque la banque centrale rend publique toute l’information dont elle dispose et opacité complète lorsqu’elle n’en divulgue rien. Entre ces deux cas extrêmes, il existe tout un éventail de degrés de transparence possibles. La question qui surgit immédiatement est la suivante : existe-t-il un degré optimal de transparence ?

Même si la majorité des études plébiscite la transparence, cette question n’est pas encore définitivement tranchée parmi les économistes car elle s’avère être extrêmement complexe dans la mesure où la transparence est un concept pluridimensionnel. Pour reprendre la nomenclature de Geraart (2002), ce concept revêt cinq dimensions.

I) La transparence sur les objectifs fait référence à la manière dont les objectifs sont affichés (notamment s’ils sont chiffrés) ainsi qu’aux arrangements institutionnels qui accompagnent ces objectifs (comme un statut d’indépendance par exemple).

II) La transparence opérationnelle concerne la manière dont les politiques monétaires sont mises en œuvre.

III) La transparence procédurale décrit la manière dont les décisions monétaires sont prises. Cela concerne tant la stratégie de la banque centrale que le détail des délibérations et des votes (par la publication des minutes notamment).

IV) La transparence économique met quant à elle l’accent sur les informations économiques utilisées pour la politique monétaire. Celles-ci incluent les données économiques mais aussi les modélisations retenues.

V) Enfin, la transparence politique implique l’annonce rapide et l’explication des mesures décidées mais doit également fournir des indications sur les anticipations faites par les autorités monétaires concernant l’évolution attendue de la situation économique et donc sur le niveau des taux de court terme vers lesquels la Banque centrale tend à se diriger dans le moyen terme.

Dans son dernier « Rapport annuel 2007 », publié en avril 2008, la BCE fait l’éloge de la transparence. Ainsi, le chapitre 7 intitulé « La communication externe » débute par ces mots : « La communication de la BCE a pour objectif d’améliorer la compréhension de ses décisions par le public. Elle fait partie intégrante de la politique monétaire de la BCE et de ses autres missions. Deux éléments clés, l’ouverture et la transparence, guident l’action de la BCE en matière de communication. Ces deux éléments contribuent à l’efficacité, à l’efficience et à la crédibilité de la politique monétaire de la BCE. »

Si la BCE se félicite par ailleurs de son degré de transparence, il convient de souligner qu’elle ne l’est pas dans toutes les dimensions. La transparence sur les objectifs est effectivement atteinte. L’objectif de la BCE est clairement identifié puisqu’il s’agit de la stabilité des prix. Cet objectif est chiffré, la BCE estimant que la stabilité des prix est atteinte lorsque l’inflation est de l’ordre de 2%. Enfin, les statuts de la BCE et plus largement du Système Européen de Banques Centrales (SEBC) attribuent aux autorités monétaires européennes un degré d’indépendance très élevé. Si la transparence opérationnelle est également atteinte, grâce à la publication précise des opérations menées par le SEBC, la transparence procédurale, économique et politique reste limitée. En effet, le processus de prise de décision et les prévisions que la BCE fait à moyen terme de la situation économique sont nettement plus opaques. La BCE ne publie pas les minutes de ses réunions et n’annonce pas ses prévisions de taux à moyen terme, ce qui nuit à la visibilité de son comportement futur. Un exemple cité par Geraats, Giavazzi et Wyplosz (2008) illustre bien ce point. En 2005, la BCE a commencé à augmenter ses taux d’intérêt afin de les normaliser. Mais elle n’a jamais été claire sur ce qu’elle entendait être un niveau « normal » ni sur le rythme auquel il fallait tendre vers ce niveau de taux. Les taux directeurs ont été augmentés finalement de 2% pour atteindre leur niveau actuel. Si les agents privés, au premier rang desquels les opérateurs sur les marchés, avaient compris dès 2005 cette volonté, ils auraient immédiatement réagi en fixant notamment les taux de long terme à des niveaux plus élevés qui auraient rendu la politique monétaire plus efficace et davantage contenu l’inflation.

C’est en effet l’évolution des taux de long terme qui compte pour les particuliers dans leur prise de décision et pas le taux à court terme contrôlé par les autorités monétaires. Cependant, c’est de l’évolution à moyen terme (sur l’année ou les deux années à venir) des taux courts que dépendent les taux longs. Pourquoi la BCE n’est-elle pas plus ouverte sur son processus de décision et donc sur ses prévisions ? La réponse à cette question tient, nous semble-t-il, à la composition de l’organe suprême de décision de la BCE, à savoir le Conseil des gouverneurs de la BCE. Ce Conseil est composé des 6 membres du Directoire de la BCE et des gouverneurs des banques centrales des pays ayant adopté l’euro (15 à ce jour). Il prend ses décisions de politique monétaire à la majorité simple après analyse de la situation économique de la zone euro. Or, le risque qu’il existe des pressions nationales sur les membres du Conseil des gouverneurs ne peut pas être écarté. Les 4 « grands » de la zone euro (Allemagne, France, Italie et Espagne) n’ont-il pas depuis la création de la BCE en 1999 imposé un de leurs ressortissants dans le Directoire, leur garantissant ainsi 2 voix dans le processus décisionnel ? Étant données les divergences dans les situations économiques nationales, il est probable que le Conseil des gouverneurs ait été à plusieurs reprises divisé tant sur l’objectif final de taux à atteindre à moyen terme que sur le rythme avec lequel le taux devait converger vers cet objectif. Notre sentiment est qu’il est préférable d’afficher ses diversités plutôt que de les étouffer pour faire apparaître un semblant d’unité que les agents économiques privés pensent être l’émanation d’une forme de pensée unique dangereuse. Par ailleurs les agents privés auraient été éclairés sur les intentions de la BCE s’ils avaient pu avoir accès aux termes des débats qui se sont tenu au sein du Conseil des gouverneurs.

Ainsi, publier les minutes avec les votes des membres du Conseil des gouverneurs (sans nécessairement révéler les noms de ceux qui se sont prononcés pour ou contre telle ou telle mesure) permettrait d’améliorer la lisibilité des actions de la BCE mais également de comprendre comment l’institution de Francfort réagit aux chocs économiques.

Enfin, il est fondamental de comprendre que la transparence est un élément déterminant de la légitimité démocratique de la BCE, instance non élue et jouissant d’un degré important d’indépendance. C’est ce que souligne assez paradoxalement la BCE dans son dernier Rapport Annuel (2008) en ces termes : « Au cours des dernières décennies, le principe d’indépendance de la Banque centrale s’est imposé comme une composante fondamentale du cadre de la politique monétaire des pays industrialisés et émergents. La décision de doter les banques centrales de l’indépendance est étayée par la théorie économique et par des données empiriques, qui montrent que cette caractéristique favorise le maintien de la stabilité des prix. Parallèlement, il est un principe fondateur des sociétés démocratiques qui veut que les pouvoirs publics soient comptables de leurs actes devant les citoyens, dont ils tiennent, en fin de compte, leur mandat. S’agissant d’une banque centrale indépendante, le principe de responsabilité peut être interprété comme l’obligation d’expliquer la manière dont elle a exercé ses pouvoirs et de justifier ses décisions auprès des citoyens et de leurs représentants élus ».

Puisqu’elle en est apparemment d’accord, il ne reste plus à la BCE qu’à se diriger vers davantage de transparence ce qui la préserverait aussi des critiques de certaines personnalités politiques. D’autant plus que ces critiques, souvent infondées et utilisées par certains dirigeants pour se défausser d’une partie de leurs responsabilités, risquent progressivement de nuire à sa réputation et à son efficacité.

Le soutien démocratique est l’unique arme de la BCE face à ces critiques. Mais pour que les citoyens européens soutiennent leur banque centrale, il faut qu’ils la comprennent. Et pour qu’ils puissent la comprendre, il faut qu’elle soit transparente. En d’autres termes, la transparence est l’unique moyen dont dispose la BCE pour s’assurer un soutien populaire qui lui est aujourd’hui plus que jamais indispensable.

Éléments bibliographiques

BCE (2008), « Rapport annuel 2007 ».

Geraats, P.M. (2002), « Central Bank Transparency », Economic Journal, 112, pp. 532-565.

Geraats, P., Giavazzi, F. and Wyplosz, C. (2008), « Transparency and Governance Monitoring the European Central Bank 6 », Centre for Economic Policy, London.

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