Des progrès inégaux vers l’équilibre budgétaire

Gérard Lang, Université de Strasbourg (BETA)

Les Etats membres de l’Union Monétaire Européenne se sont engagés, dans des délais variables de un à trois ans, à parvenir à l’équilibre budgétaire et de préférence à l’excédent. Il s’agit en effet de donner aux gouvernements une marge de manœuvre. En cas de récession ou de choc asymétrique, la détérioration inévitable des finances publiques qui en résulterait, pourrait se faire sans que le déficit budgétaire dépasse le seuil fatidique de 3 % du P.I.B. Mais cet effort d’assainissement est inégal selon les États. Certains sont déjà arrivés à l’excédent. D’autres « traînent les pieds ». C’est que parallèlement à cet effort, il s’agit aussi, pour réduire le chômage, de faire des réformes structurelles qui impliquent souvent l’augmentation de la précarité des salariés.

Mots-clefs : Banque centrale européenne (BCE), Pacte de stabilité et de croissance (PSC), performances des économies des pays membres de l’Union européenne, Union économique et monétaire (UEM).

Citer cet article

Gérard Lang « Des progrès inégaux vers l’équilibre budgétaire », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 2, 7 - 11, Été 2000.

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Dans ces conditions – et tant que persiste un niveau élevé de chômage – certains États de l’Union considèrent que la réduction des déficits budgétaires n’est plus une priorité et préfèrent affecter les fruits de la croissance retrouvée (les excédents imprévus des recettes fiscales sur les dépenses) à la réduction des impôts et à une certaine augmentation des dépenses publiques pour stimuler la demande et ne pas casser la croissance, ainsi que pour satisfaire des besoins trop longtemps sacrifiés durant les périodes d’austérité.

1) Vers un affrontement entre certains gouvernements et la Banque Centrale Européenne ?

Les gouvernements sont d’autant plus incités à relâcher leurs efforts d’assainissement budgétaire qu’ils pensent compenser ainsi les effets défavorables pour la croissance d’une politique monétaire devenue plus restrictive depuis novembre 1999. En effet, devant le risque d’une inflation dépassant le taux de 2 % qu’elle s’est fixée comme objectif, la Banque centrale européenne a relevé quatre fois son taux d’intérêt directeur. Passé de 2,5 % à 3 % en novembre 1999, il est relevé à 3,25 % le 3 février à 3,50 % le 16 mars et à 3,75 % le 27 avril 2000. Les gouvernements considèrent que ce n’est pas leurs politiques qui sont responsables de ces tensions inflationnistes puisque celles-ci sont essentiellement d’origine extérieure (la hausse du prix du pétrole et surtout la dépréciation de l’Euro par rapport au dollar depuis plus d’un an).

La Banque centrale européenne déplore évidemment cette évolution. Son dernier rapport pour 1999 souligne que les diminutions des déficits publics s’expliquent moins par de réels efforts de compression des dépenses que « par le climat économique favorable et par la poursuite de la contraction des charges d’intérêt » (contraction due à la baisse des taux pratiquée précisément par la Banque jusqu’en novembre 1999). L’accord implicite qui liait les gouvernements et la Banque centrale – à savoir une politique monétaire de modération des taux d’intérêt et une politique de réduction des déficits budgétaires et de désendettement − n’est donc plus respecté.

Le risque est donc de voir resurgir un conflit que le Pacte de Stabilité était censé éviter en instaurant la primauté de la Banque centrale dans la définition du policy-mix européen, à savoir un affrontement entre certains gouvernements lents à réduire leurs déficit set leurs dépenses et une BCE décidée à relever les taux d’intérêt pour assurer la stabilité des prix, mais aussi – bien que ce ne soit pas un objectif explicite – pour arrêter la baisse de l’Euro en réduisant le différentiel de rendement entre les États-Unis et l’Europe et en rassurant les marchés financiers. Il est probable que ce dernier objectif sera plus difficile à atteindre précisément en raison de cet affrontement dû à l’absence de coordination entre les deux pouvoirs mais aussi entre les pouvoirs politiques nationaux eux-mêmes.

2) Les bons élèves de la classe

Trois pays en particulier se font remarquer par leur lenteur à réduire leurs déficits : ce sont l’Allemagne, la France et l’Italie.

À l’opposé les économies de petite dimension ont accompli des performances remarquables grâce à des taux de croissance élevés qui ont facilité la réduction à la fois des déficits publics (transformés même en excédents) et du taux de chômage. Les Pays-Bas notamment ont connu en 1999,pour la première fois depuis 25 ans, un excédent budgétaire, (2 milliards de florins,soit 900 millions d’Euros, soit 0,25 % du PIB ; l’excédent prévu pour 2000 représenterait 1 % du PIB) alors que le taux de chômage y est de 2,8 % (janvier 2000). Les deux partis de la coalition de centre-gauche au pouvoir préconisent une augmentation des investissements dans l’éducation et la santé publique (les Pays-Bas ont une médecine en deçà du niveau de leurs voisins européens) (Les Échos, 13 janvier 2000). Les Pays-Bas rejoignent ainsi le groupe des pays ayant un excédent : la Finlande (excédent prévu pour 2000 : +4,1 % du PIB) ; le Luxembourg (+2,6 %), l’Irlande (+1,7 %). L’Espagne est le seul pays de grande dimension à connaître un excédent budgétaire (prévu à 2,4 % pour 2000), tout en ayant cependant le taux de chômage le plus élevé de l’Union européenne : 15,43 % de la population active en 1999, mais en diminution constante (le chômage a baissé de 13,5 % en 1999, mais avec de fortes disparités inter-régionales : le taux de chômage est par exemple de 26,8 % en Andalousie).

Tous ces pays à excédents budgétaires (auxquels il faut ajouter trois pays n’appartenant pas à la zone Euro : le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark) ont vu leur chômage baisser fortement. Comme le remarque Charles Wyplosz « Ce sont des pays qui ont entrepris depuis au moins dix ans de profondes réformes de leurs marchés du travail. On y vénère la flexibilité. Rien de tel,pour l’instant, en France, en Allemagne ou en Italie, les gros morceaux de la zone Euro  » (« Bientôt les goulets », Libération, 28.2.2000).

Ce sont aussi ces trois pays où la réduction des déficits est la plus lente, probablement parce qu’ils préfèrent encore des mesures budgétaires pour réduire le chômage à des réformes améliorant la flexibilité du marché du travail, mais risquant de réduire aussi la cohésion sociale.

3) L’Italie a besoin d’une pause

L’Italie, qui a fait d’importants sacrifices pour réaliser les critères de convergence et être admise dans l’Union monétaire, a besoin d’une pause. Comme l’écrit MarcLazar en commentant la chute du gouvernement présidé par Massimo d’Alema : « La Coalition de centre - gauche a poursuivi et même amplifié le traitement de cheval que les gouvernements successifs, depuis 1992,à l’exception notable de celui présidé par Silvio Berlusconi entre mai et décembre 1994, ont administré pour assainir la situation financière et faire entrer l’Italie dans la zone Euro. L’austérité, les coupes dans les dépenses publiques, la hausse de la pression fiscale expliquent la lassitude de l’opinion qui ne perçoit pas encore les effets des premières améliorations économiques et sociales et sa tentation de se tourner vers ceux qui promettent monts et merveilles »(Le Monde, 27 avril 2000).

Ces politiques d’austérité sont responsables du faible taux de croissance italien, qui est avec celui de l’Allemagne, inférieur à celui du reste de l’Union européenne (2,1 % pour l’Italie et 2,3 % pour l’Allemagne en 1999 contre 3,1 % pour la zone Euro). Le taux de chômage reste élevé (11,2 % en janvier 2000) mais avec de fortes disparités entre les régions : diminution du chômage dans le Nord, aggravation dans le Sud (où le taux de chômage est supérieur à 25 %).

Il était logique dans ces conditions que le Conseil des Ministres des Finances de l’Union (l’Ecofin) autorise l’Italie, lors des débats sur l’adoption des « Grandes Orientations de Politique économique »(GOPE) le 25 mai 1999, à laisser glisser son déficit jusqu’à 2,4 % au lieu des 2 % auxquels elle s’était engagée quelques mois auparavant. Cette concession sage est exemplaire dans la mesure où elle traduit une volonté de coordination des politiques budgétaires au niveau européen et un pragmatisme évitant une interprétation rigide du Pacte de Stabilité. Mais l’Italie a réaffirmé son objectif d’arriver à l’équilibre en 2003.

4) Réforme fiscale et faible croissance en Allemagne

La situation de l’Allemagne en 1999-2000 est, sur un certain nombre de points, comparable à celle de l’Italie. Comme l’Italie, elle enregistre un taux de croissance sensiblement plus faible que le reste de la zone euro depuis près de cinq ans. Comme en Italie, cette évolution globale recouvre de fortes disparités : retard économique et chômage élevé dans les « Länder » de l’Est (comparables aux régions du Sud de l’Italie), alors que l’Allemagne de l’Ouest (comme l’Italie du Nord) ont une croissance comparable à celle de la zone euro. Enfin, conjoncturellement, les économies allemande et italienne ont été plus durement touchées que la plupart de leurs partenaires par la crise des pays émergents (celle des pays de l’Europe de l’Est pour l’Allemagne, concurrence accrue des pays asiatiques pour l’Italie) (Voir les Notes de conjoncture de l’INSEE, mars 2000, p.52-55).

La réduction du déficit budgétaire fédéral allemand est, dans ces conditions, aussi lente qu’en Italie : il représente 1,2 % du PIB en 1999, à politique économique inchangée le déficit passerait à 1 % en 2000 et à 1,4 % en 2001).

Dans le cadre d’une importante réforme fiscale, le gouvernement Schröder a préféré accorder la priorité à une forte baisse des impôts (d’un montant de 73 milliards de DM, soit 264 Milliards de F, entre 2000 et 2005). Le taux marginal maximum de l’impôt sur le revenu est abaissé de 53 % à 45 %. L’impôt sur le bénéfice des entreprises passe de 30 % à 25 % le 1er janvier 2001. En tenant compte des autres impôts (tels que la taxe professionnelle), les bénéfices des entreprises allemandes supporteraient alors un taux de prélèvement effectif de 38,6 %. Parmi les vingt membres de l’OCDE, l’Allemagne passerait ainsi de la vingtième position de pays taxant plus lourdement les entreprises à la 14e, devant la France (40 %), les États-Unis (40,5 %)et l’Italie (41,3 %). En outre les entreprises bénéficieront aussi de la suppression d’une taxation de 50% sur les plus-values de participation : cette mesure devrait permettre aux banques et compagnies d’assurance de céder leurs nombreuses participations industrielles et faciliter ainsi les restructurations jusqu’ici différées à cause de cette taxe.

Ces mesures ainsi que celles en faveur des salariés et des familles, l’aide apportée par le gouvernement à l’entreprise de BTP Holzmann pour la sauver de la faillite, traduisent donc une certaine volonté de favoriser la croissance et l’emploi par des moyens budgétaires, même si on est loin de la politique de relance budgétaire qu’avait proposée en février 1999 l’ancien Ministre des Finances Oskar Lafontaine à ses partenaires européens.

5) La France entre keynesianisme et libéralisme

La France n’est pas dans la même situation que les deux pays précédents : elle enregistre une croissance plus forte et ne connaît pas des disparités interrégionales aussi fortes. Mais son taux de chômage reste élevé (10,4 % en février 2000) et le gouvernement accorde lui aussi la priorité à la lutte contre le chômage de préférence à la poursuite de la réduction de son déficit (qui représente 1,8 % du PIB en 1999, 1,5 % en 2000 et 1,2 % en 2001 avec un montant proche de 200 milliards de F.), contrairement à l’option qui avait été adoptée pour le budget de 1999.

Le gouvernement Jospin a décidé d’utiliser l’excédent des recettes fiscales de 50 milliards de F (la « cagnotte ») non pas pour réduire le déficit, mais pour réduire les impôts et financer certaines dépenses publiques.

La réduction des impôts (pour 40 milliards,soit 0,5 % du PIB) traduit la volonté depuis longtemps affichée de réduire le taux des prélèvements obligatoires (qui est en 1999 de 45,7 %, l’un des plus élevés de l’OCDE). L’impôt sur le revenu est allégé de 11 Milliards (les deux plus basses tranches sont abaissées d’un point) : 650 000 ménages ne seront plus imposables à l’impôt sur le revenu et 5 millions bénéficieront d’une baisse de cet impôt supérieure à 10 % .Le taux de la TVA est abaissé de 20,6 à 19,6 % (ce qui représente 18 milliards de F en 2000 ). La taxe d’habitation est réduite de 11 milliards.

Quant aux dépenses supplémentaires (10 milliards) elles profiteront essentiellement aux secteurs de l’éducation et de la santé.

Les libéraux qui prônent la baisse du poids de l’État, comme les keynesiens, qui souhaitent la stimulation de la demande, sont tous favorables aux baisses d’impôts. Le désaccord entre ces deux courants de pensée porte sur le rôle des dépenses publiques : les premiers veulent tout naturellement les réduire, les seconds considèrent qu’elles sont un instrument à préserver pour lutter contre le chômage et les inégalités sociales. Dans l’optique libérale de réduction du poids de l’État, il faut commencer par réduire les dépenses publiques , ce qui nécessite une forte volonté politique face aux groupes de pression et aux avantages acquis ; la baisse des impôts sera alors possible dans un second temps. Dans l’optique keynesienne, si la baisse des impôts est utile pour stimuler la demande (et éventuellement réduire le coût du travail) un chômage élevé exige le maintien voire la hausse du volume des dépenses publiques (ce qui ne doit pas exclure évidemment leur meilleure utilisation). Les mesures prises semblent donc plutôt s’inspirer de ce deuxième courant.

Ces approches opposées apparaissent bien dans les opinions exprimées par deux économistes sur les mesures gouvernementales (interviews parues dans le journal Libération du 18 mars 2000). Charles Wyplosz déclare : « les réductions d’impôts sont toujours une bonne idée. Le gouvernement a eu raison de ne pas trop s’inquiéter des déficits : la situation des finances publiques s’améliore de toutes façons. Le coup de pouce que ces baisses d’impôts vont donner à la croissance devraient permettre d’accroître encore les recettes fiscales. En revanche, le volet dépenses des mesures n’a aucun intérêt économique. C’est un geste purement politique. Ajouter un milliard à l’éducation, alors que rien n’est fait pour accroître l’efficacité du système, ne sert à rien et alourdit le poids de l’Etat ».

Liêm Hoang-Ngoc (chef de file de l’Appel des économistes contre la pensée unique) lui aussi approuve les mesures fiscales parce que ce sont « des mesures de justice sociale de bon augure » , en revanche, ajoute-t-il, « sur le volet dépenses, Lionel Jospin n’a pas été très audacieux, notamment sur l’éducation, avec seulement 1 milliard de francs. Mais au moins, il est sorti du dogme du « gel des emplois publics » ; il faut maintenant que cette ouverture se concrétise financièrement. L’expérience des emplois jeunes a montré que l’on pouvait créer des emplois publics utiles répondant à des besoins émergents ».

Quand on analyse les politiques économiques menées dans l’Union européenne et notamment en France ; en Allemagne et en Italie, on peut dresser le constat suivant.

  1. On constate d’abord une interprétation plus souple du Pacte de Stabilité : la réduction des déficits budgétaires n’est pas prioritaire tant que subsiste un chômage important, dont une grande partie pourra être réduite par la politique budgétaire sans qu’apparaissent des tensions inflationnistes qui pourraient compliquer la tâche de la BCE.
  2. Les mesures budgétaires et fiscales, en France et en Allemagne notamment, ont été prises sans aucune concertation, en l’absence de toute coordination entre les États. En particulier, comme le constate l‘OFCE dans son Rapport sur l’état de l’Union européenne 2000 (Paris, Mai 2000), la réforme fiscale allemande, notamment l’importante baisse de la fiscalité sur les entreprises, c’est-à-dire un facteur mobile, « a un côté fortement non coopératif » qui aboutit à une aggravation de la concurrence fiscale au sein de l’Union et qui pourrait déboucher sur une harmonisation de la fiscalité vers le bas, obligeant ainsi les États à réduire leurs dépenses publiques et donc leur poids dans l’économie : « c’est in fine le renoncement aux services publics, soit par leur dégradation, soit par leur privatisation, que les populations concernées auraient probablement préféré leur maintien. » (o.c.,p.18).

C’est précisément ce que veulent les libéraux. Si au contraire, on veut préserver un secteur public important, parce qu’on le considère comme un élément fondamental de la solidarité et de la cohésion sociale, il est impératif d’aboutir à la coordination des politiques fiscales et budgétaires, et à plus long terme, une certaine dose de fédéralisme. économique et politique.

Projection des programmes de stabilité ou de convergence actualisés concernant l’excédent/ le déficit public des États membres de l’UE : (Capacité (+) / besoin (-) de financement des administrations publiques en % du P.I.B.
2000200120022003
B −1,0 −0,5 0,0 0,2
D −1,0 −1,5 −1,0 −0,5
E −0,8 −0,4 0,1 0,2
F −1,7 −1,2 −0,7 −0,3
IRL 1,2 2,5 2,6
I −1,5 −1,0 −0,6 −0,1
L 2,5 2,6 2,9 3,1
NL −0,6 −1,3 −1,1
A −1,7 −1,5 −1,4 −1,3
P −1,5 −1,1 −0,7 −0,3
FIN 4,7 4,2 4,6 4,7
EUR – 11 −1,1 −1,0 −0,6 −0,2
DK 2,1 2,2 2,3 2,5
EL (Grèce) −1,2 −0,2 0,2
S 2,1 2,0 2,0
UK 0,2 0,2 −0,1 −0,4
EUR –15 −0,7 −0,6 −0,3 −0,2

Source : Programmes de stabilité et de convergence actualisés présentés par les États membres

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