Le capital-risque et les innovations technologiques
Meixing Dai, Université de Strasbourg (BETA) et CNRS
Le capital-risque représente une faible part du financement des activités d’innovations technologiques des entreprises. Cependant, il joue un rôle clef dans la mesure où il dynamise les innovations, permet aux jeunes entreprises innovantes de bousculer le paysage industriel et commercial et stimule fortement la croissance économique.
Mots-clefs : capital risque et d’investissement, innovations technologiques.
Citer cet article
Meixing Dai « Le capital-risque et les innovations technologiques », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 6, 12 - 15, Été 2002.
Le capital-risque, conçu aux USA en 1946, voit sa croissance s’accélérer dans les années 70 et devient, dans les années 90, un véritable phénomène avec la révolution des technologies de l’information et la faiblesse durable des taux d’intérêt. En Europe, le capital-risque démarre dans les années 80 sous l’impulsion des gouvernements. Ceux-ci, pour favoriser la création de sociétés de capital-risque institutionnelles, et de fonds de placement à risque, ont essayé d’éliminer les barrières fiscales, juridiques et culturelles.
Les fonctions du capital-risque
Les innovations se révèlent vitales pour les entreprises évoluant sur des marchés concurrentiels en leur permettant de créer de nouveaux produits et services. Les entreprises ne peuvent, malgré l’étude de la faisabilité des projets, éliminer tous les risques et doivent faire un pari sur l’avenir. Elles financent l’innovation en majeure partie avec des fonds propres et recourent très peu à l’endettement. Des aides publiques constituent un complément. Le capital-risque est une source de financement de l’innovation mineure mais il joue un rôle clef dans une économie. Les petites entreprises, à fort potentiel de croissance, très motivées pour innover et prêtes à bousculer le paysage existant des industries, sont très handicapées : leur autofinancement est souvent insuffisant, le recours à l’emprunt peut s’avérer impossible voire suicidaire face au risque inhérent aux projets innovants. Elles trouvent en capital-risque un bon moyen de financement en tant que source importante de leurs fonds propres.
Le capital-risque regroupe l’ensemble des investissements employés dans l’amorçage (seed-capital), la création (start-up), le développement d’une société nouvelle. Une définition large inclut le capital-risque de transmission d’entreprise. Son intervention permet d’amoindrir voire d’éliminer le risque financier tant pour les investisseurs en constituant des fonds diversifiés, que pour les entrepreneurs en intervenant en fonds propres. Une série de contrats relient, d’une part, les fondateurs d’une entreprise et d’autre part un ensemble d’investisseurs, représentés par un intermédiaire financier (individus ou business angel, sociétés de capital-risque, prestataires de services d’investissement, banques d’affaires, etc.). En général, ces contrats comprennent des aspects non financiers tels que l’ingérence ou le conseil commercial ou/et technologique des investisseurs ou des managers des fonds du capital-risque, d’où la spécialisation des sociétés et des fonds du capital-risque en fonction des phases de développements, de la nature du financement, ou de la répartition sectorielle ou géographique, etc.. Ces sociétés gèrent des capitaux structurés essentiellement sous forme de fonds du capital-risque. Leur rémunération est en général liée à la performance des fonds. Il existe des principes stricts gouvernant la levée des fonds, l’évaluation des propositions d’investissement, le monitorat des sociétés investies, et la planification des sorties dès le début. Les pouvoirs publics ne doivent intervenir dans le capital-risque que via des sociétés de capital-risque en leur apportant des fonds et/ou en les aidant financièrement.
Les effets économiques du capital-risque
Les jeunes sociétés financées par le capital-risque développent tous azimuts des nouvelles technologies. Leur diffusion dans le système productif favorise une croissance plus rapide de la productivité et par conséquent de la compétitivité d’une économie dans son ensemble. Les études récentes confirment que le capital-risque joue un rôle de catalyseur pour les innovations, en stimulant la création et le développement des sociétés orientées vers la technologie, aide aux transformations des résultats de R&D dans des produits et services. Sur le plan de l’innovation, le capital-risque, employé dans des structures plus flexibles au niveau des décisions stratégiques, est sensiblement plus efficace que le financement de R&D traditionnel dans les grandes entreprises. C’est donc un instrument de financement efficient dans la politique régionale favorisant le développement de la haute technologie et la croissance. L’emploi, souvent mieux qualifié et davantage rémunéré, augmente plus vite dans les sociétés qui bénéficient de capital-risque. Selon une étude sur la période 1991-1995, l’emploi a augmenté de 15% dans ces sociétés contre 2% dans les 500 plus grandes entreprises en Europe (respectivement 25% et -3% aux USA).
Le capital-risque en Europe
Depuis quelques années, le capital-risque a connu une expansion rapide en Europe (voir les tableaux 1 et 2). Les fonds levés et investis sont passés respectivement de €6,69 mds et €5,44 mds en 1994 à €48mds et €34,9 mds en 2000 (13 107 sociétés ont bénéficié de capital-risque au sens large en 2000). Au sens étroit, le montant investi est d’environ €7 mds en 1998, €12 mds en 1999 et €19.6 mds en 2000. Une part de plus en plus importante est investie dans les sociétés nouvelles (start-ups), passant d’une moyenne de 5% en 1994 à 16,7% en 2000.
Un écart important sépare l’Europe des USA : les fonds investis aux Etats-Unis sont passés de $18,1 mds en 1994 à $91,71mds en 2000. En revanche, l’Europe devance largement les autres régions du monde (Asie Pacifique, $9,1 mds, Moyen-Orient et Afrique, $3,7mds, Amérique-Centrale et du Sud, $3,7 mds, Europe-Centrale et de l’Est, $0,38 mds). En 2001, la chute du capital-risque a été brutale aux USA avec une baisse de 65% à 32,1 mds de dollars. En Europe, malgré une chute de -85% au 1er semestre 2001, la baisse du régime a été moins brutale sur l’année. Selon l’European Association of Venture Capital (EAVC), il y a eu €38,2 mds levés, et €24,3 mds investis dont 12,2 mds en capital-risque au sens étroit.La valeur des portefeuilles a connu une baisse très importante (-95%) suite à celle du marché boursier. Les nouveaux marchés européen ont connu au plus bas une baisse de plus de 90% par rapport au plus haut atteint dans l’euphorie en mars 2000.
En Europe, le développement est plus élevé dans les pays où la culture de marché boursier est forte. Celle-ci, favorable à la sortie du capital-risque par introduction en bourse, est notamment présente au Royaume-Uni et au Pays-Bas. La France, l’Allemagne, la Belgique et la Suède sont en retrait, mais sont en phase de rattrapage rapide. Le retard est plus conséquent dans les pays du sud de l’Europe. Il existe une corrélation forte entre le développement du capital-risque et l’investissement dans celui-ci par les fonds de pension ou d’autres fonds institutionnels. Ces derniers s’intéressent surtout aux étapes plus matures, en particulier au Royaume Uni. Ceci est motivé par le bon rapport rendement/risque et l’aversion au risque des investisseurs institutionnels, même si les investissements en amont commencent à être favorisés. Il y avait une croissance progressive de la taille des fonds de capital-risque et celle des opérations des individus, au risque de négliger les petits investissements dans les premières étapes d’une nouvelle société. Après le krach boursier 2000-01, les entreprises nouvelles, quel que soit leur stade de développement, ont plus de mal à lever des fonds suffisants pour se développer malgré la baisse de leur prétention et sont donc plus fragiles.
La politique européenne
Les institutions communautaires et les Etats membres, soucieux de créer une économie plus moderne, plus dynamique et innovatrice, prêtent un intérêt croissant au développement du capital-risque. Celui-ci peut, en effet, aider efficacement à la réalisation des ambitions exprimées par les chefs d’Etats et de Gouvernement à Lisbonne en mars 2000 : faire de l’Europe, d’ici 2010, l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. Pour réaliser cet objectif, il est nécessaire de développer davantage les marchés de capital-risque dans l’Union européenne.
La masse des fonds collectés et investis en capital-risque est déterminée par un nombre important de facteurs dont certains, étant donnée la nature du marché de capital-risque, constituent des obstacles à son expansion. La Commission Européenne en a identifié six dans un plan d’action adopté en avril 1998. Quatre se trouvent du côté de l’offre : 1) La fragmentation des marchés financiers européens ; 2) Les obstacles institutionnels et réglementaires ; 3)L’existence de régimes fiscaux très divers et peu favorables au développement du capital-risque ; 4) Le nombre très insuffisant de spécialistes de capital-risque et de techniciens pour maîtriser les nouvelles technologies. Deux obstacles se trouvent du côté de la demande : 1) Le Manque d’ingénieurs dans le secteur des technologies de l’information et l’absence d’un brevet communautaire ; 2) Les Obstacles culturels, avec des règles de faillite et d’insolvabilité très contraignantes, qui ne permettent pas de donner une seconde chance aux entrepreneurs ainsi que le caractère récent de l’investissement en actions dans certains États.
Pour combler l’écart avec les États-Unis et être en mesure d’atteindre l’objectif stratégique 2010 fixé à Lisbonne, la Commission a retenu, en octobre 2000, trois types de mesures prioritaires dans son plan d’actions, visant à : 1) Accélérer l’intégration du marché financier européen. La Commission a adopté une directive concernant la surveillance prudentielle des institutions de retraites complémentaires, qui, tout en garantissant la sécurité aux futurs retraités, donne une liberté suffisante de gestion à celles-ci pour investir une partie des fonds dans le capital-risque. D’autres mesures, concernant les prospectus d’émission, les règles comptables communes ou le fonctionnement des marchés boursiers, vont être prises afin d’intégrer les marchés de gros ;2) Accélérer les réformes structurelles nécessaires pour alléger les contraintes d’origine nationale. Il s’agit d’alléger certaines contraintes et d’engager les réformes fiscales et réglementaires au niveau du placement des capitaux institutionnels en capital-risque, de constitution d’une société ou des dispositions régissant la faillite et l’insolvabilité, et d’imposition des gains du capital-risque et des stock-options ; 3) Promouvoir L’esprit d’entreprise. L’idée principale consiste à stimuler davantage la création d’entreprise par des chercheurs. De nombreuses mesures ont déjà été prises aux niveaux national et régional (brevet communautaire, essaimage, cumul d’emplois public et privé par les chercheurs etc.). Un effort de longue haleine est nécessaire au niveau de l’éducation, de la formation et de la communication pour susciter des vocations de création d’entreprise sur le moyen et long terme. Il convient aussi de faire changer la culture d’entreprise familiale susceptible d’empêcher une société jeune de se développer par crainte de perdre le pouvoir de contrôle de l’entreprise.
Sachant que les priorités sont fixées dans une phase où les marchés des valeurs technologiques et du capital-risque sont euphoriques, d’autres pourraient à notre avis émerger dans le futur à mesure que la situation économique et financière évoluera en Europe et dans le monde.
En particulier, dans la crise actuelle, il faut réfléchir à l’amélioration du fonctionnement du système des nouveaux marchés européens, dont la faible liquidité et la faible demande pour les nouveaux papiers, signes d’une grave crise de confiance des investisseurs après le krach boursier, ne permettent plus de financer les nouvelles sociétés ou accueillir la sortie du capital-risque. Dans un contexte de marché de cessions déprimé, un soutien sélectif est le bienvenu pour des sociétés de capital-risque qui ont fait leurs preuves dans le passé et des sociétés (nouvelles) qui disposent d’une capacité convaincante pour accompagner des sociétés à investir. Les incitations publiques ciblées peuvent également être envisagées du côté de la création d’entreprises innovantes en mal de financement privé. Il faut bien sûr veiller à ce que les mesures d’aides soient de court terme, pour pallier uniquement aux échecs temporaires de marché en évitant un effet d’éviction de l’entreprise privée.
Quant aux ventes aux enchères des licences UMTS en Europe, le manque de coordination ainsi que des prix élevés payés par certains opérateurs dans certains pays risquent de saccager les efforts déployés dans le domaine de capital-risque car beaucoup de jeunes sociétés innovantes sont dépendantes des investissements des opérateurs de télécommunications, qui diminuent leurs investissements afin de se désendetter et d’améliorer leur situation financière. La Coordination européenne est nécessaire pour remédier aux problèmes créés par les licences de UMTS.
Sur le long terme, les innovations sont réputées pour créer un déséquilibre économique en raison des effets d’agglomération résultant du mouvement libre des facteurs de production. Afin de permettre aux régions moins favorisées de se développer, il faut soutenir le développement équilibré du capital-risque à travers l’Union européenne ; surtout dans les régions, les secteurs ou les étapes de financement qui ont attiré moins d’attention. Il faut aider les régions moins favorisées à se doter d’infrastructures telles que des centres de recherche, des parcs de science et de technologie régionale, des services d’incubateur d’entreprises, etc. Toute Action d’intervention doit être compatible avec la capacité de la région ciblée et la maturité de son marché boursier ; et toute action adressée à un secteur ou une étape de financement doit correspondre aux besoins bien identifiés du marché et ne doit pas encourager les comportements moutonniers et précipités.
1994 | 1995 | 1996 | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 | 2001 |
6,69 | 4,40 | 7,96 | 20,00 | 20,34 | 25,40 | 48,02 | 38,2 |
Source : European Association of Venture Capital (EAVC)
Europe | 5,44 | 5,55 | 6,79 | 9,66 | 14,46 | 25,11 | 34,99 | 24,3 |
R-U | 2,17 | 2,68 | 2,97 | 4,43 | 7,11 | 11,50 | 13,18 | 7,0 |
Allemagne | 0,81 | 0,65 | 0,72 | 1,33 | 1,95 | 3,16 | 4,77 | 4,4 |
France | 1,11 | 0,86 | 0,89 | 1,25 | 1,78 | 2,82 | 5,30 | 3,3 |
Source : European Association of Venture Capital (EAVC).
Droits et Permissions
Accès libre (open access) : Cet article est distribué selon les termes de la licence internationale Creative Commons Attribution 4.0.
Le financement du libre accès est assuré par le BETA – Bureau d’Économie Théorique et Appliquée.
Du / des même(s) auteur()s
- L’Union bancaire européenne permet-elle de sauver l’euro ?, Samuel Sarfati, Meixing Dai
- Un modèle suédois pour la résolution de la crise de la dette souveraine en Europe, Nicolas Mazuy, Meixing Dai, Marie-Claude Rioux
- Les « hélicoptères » des banques centrales, Meixing Dai
- Quelques Réflexions sur la Réévaluation du Yuan, Meixing Dai
- Implications de l’imperfection des marchés financiers pour la politique monétaire, Meixing Dai
- La grande crise systémique de 2008 : Causes, conséquences et mesures de politique, Meixing Dai
- La « crise » du textile chinois ou l’arbre qui cache la forêt ?, Meixing Dai
- La politique agricole commune : les enjeux de la réforme et le défi de l’élargissement de l’UE, Meixing Dai
- Marchés d’actifs et évolution conjoncturelle de la zone euro, Meixing Dai
- Les relations économiques entre l’UE et la Chine, Meixing Dai
D'autres articles qui pourraient vous intéresser
- La dimension régionale des politiques d’innovation en Europe, Jean-Alain Héraud, René Kahn
- Mesure(s) de l’innovation : méthodologie et principaux indicateurs méthodologiques, Francis Munier
- La gouvernance multi-niveaux de la recherche en Europe et le cas des régions françaises, Jean-Alain Héraud
- Le Crédit Impôt Recherche en débat : un éclairage franco-allemand, Jean-Alain Héraud, Andrea Zenker
- L’espace du Rhin Supérieur : vers la construction d’une petite Europe de la science et de la technologie ?, Jean-Alain Héraud
- Les enjeux économiques du brevet unitaire européen, Agnieszka Kupzok, Julien Pénin
- La crise de COVID-19 est une opportunité pour développer le capital humain numérique en Europe, Claude Diebolt