Les orientations du modèle économique et social européen
Gilbert Koenig, Université de Strasbourg (BETA)
Le modèle économique et social européen qui est en train de se construire se présente actuellement comme un système dichotomique fondé sur une répartition des responsabilités économiques et une séparation entre l’économique et le social. Les résultats actuels de son fonctionnement en font un système instable dont l’évolution est encore difficile à cerner.
Mots-clefs : modèle économique et social européen, mondialisation, Traité de Maastricht.
Citer cet article
Gilbert Koenig « Les orientations du modèle économique et social européen », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 15, 9 - 14, Hiver 2006.
Le Traité de Maastricht institue une Union qui doit notamment promouvoir un progrès économique et social équilibré et durable en renforçant la cohésion économique et sociale. Il spécifie un cadre juridique et institutionnel qui doit permettre à l’Union de réaliser ses objectifs. C’est à partir de ces dispositions générales que s’est progressivement construite l’organisation économique et sociale de l’Europe. Selon certains, cette construction s’est effectuée d’une façon empirique, pour d’autres elle a été réalisée selon un certain nombre de principes et de références en vue de réaliser un modèle économique et social européen. La partie 3 du projet établissant une constitution pour l’Europe (2003) comprend une synthèse des conceptions qui ont prédominé dans cette construction et qui permettent de saisir sa nature [1].
Ce texte rappelle avec insistance que l’organisation économique et sociale de l’Europe se place dans le cadre d’une économie de marché. Mais cette référence qui est présente dans tous les textes depuis le début de la construction européenne est insuffisante pour caractériser une organisation économique et sociale, car elle recouvre une diversité de modèles nationaux. Une référence plus précise peut être trouvée dans l’article 3.1 de ce projet. En effet, ce texte stipule que l’Union œuvre pour un développement fondé sur une économie sociale de marché. Certains commentateurs de ce texte pensent que le terme « social » a été ajouté à une version préliminaire pour éviter une référence implicite au modèle américain souvent considéré comme l’application la plus fidèle des principes d’un libéralisme extrême. D’autres soutiennent que la référence à une économie sociale de marché traduit une volonté d’instaurer une organisation spécifique dont les principes ont été définis au sein de l’école de Fribourg dans les années trente sous le nom d’ordolibéralisme [2].
Mais quelle que soit l’influence subie, le modèle européen actuel se présente comme un système dichotomique fondé sur une répartition des responsabilités économiques et une séparation entre l’économique et le social. La faiblesse de son bilan économique et social en fait un système instable dont l’évolution future est encore difficile à prévoir.
Le modèle européen, un système dichotomique
La séparation entre l’économique et le social est clairement établie dans le projet de constitution européenne qui traite dans deux chapitres différents la politique économique et monétaire d’une part et parmi « les politiques dans d’autres domaines », celle de l’emploi et la politique sociale d’autre part.
- L’orientation économique du modèle européen
L’orientation économique du modèle européen semble assez conforme à la pensée ordo-libérale. Selon cette pensée, le processus économique doit être coordonné par le mécanisme concurrentiel des prix. Les principes de ce système doivent être spécifiés dans une constitution économique. Leur application doit être garantie par l’État qui est chargé dans ce cadre de mener des politiques de régulation. Ces politiques se traduisent sur le plan conjoncturel par une division des tâches entre une banque centrale indépendante qui mène une politique monétaire uniquement centrée sur un objectif de stabilité des prix et un gouvernement qui doit laisser jouer les stabilisateurs budgétaires automatiques. Sur le plan structurel, l’État doit se limiter à prendre des mesures permettant d’assurer les conditions de la concurrence.
Ces principes de la doctrine ordolibérale qui ont été appliqués plus ou moins fidèlement par l’Allemagne à partir des années 50 semblent avoir été également adoptés par l’Union européenne. En effet, la prédominance du principe de la concurrence est affirmée dans le Traité de Maastricht et dans les textes ultérieurs. De même, l’action conjoncturelle est répartie entre deux catégories de décideurs publics.
Pour ce qui est de l’action structurelle de l’Union, la pratique européenne semble assez fidèle aux principes de l’ordolibéralisme. Cela se traduit notamment par une activité particulièrement intense des services du commissaire européen à la concurrence. Par contre, certaines politiques structurelles, comme la politique industrielle, semblent faire l’objet de préoccupations nettement moins importantes [3]. Quant aux grands projets européens dont les principes sont parfois retenus, ils ne sont généralement pas réalisés ou ils ne sont que partiellement mis en œuvre faute de financement. C’est ainsi que sur 30 projets ferroviaires sélectionnés pour les prochaines années, seuls 5 pourront être co-financés. Pourtant 36 % du budget européen est consacré à des actions structurelles et de solidarités, mais l’importance de ces actions est relativement modeste si l’on considère que le budget européen représente un peu plus de 1 % du PIB de la communauté.
D’une façon générale, les mesures prises par les instances européennes incitent les États à réduire la place et le rôle du secteur public. Cela se traduit par un encadrement strict des actions budgétaires nationales et par les exigences de privatisations, même dans des secteurs dont le fonctionnement exigerait des décisions stratégiques d’intérêt général, comme l’énergie. Les mesures prises par les États nationaux pour réduire les impôts se placent dans le même esprit. Elles sont assez conformes à la conception exprimée par M. Friedman suivant laquelle toute baisse d’impôts est bonne quels que soient ses effets économiques, car cela oblige les États à diminuer leurs dépenses publiques et ainsi à réduire le rôle de l’État [4].
Cette diminution de l’activité publique risque de peser sur la croissance comme le montre l’exemple français de 2003. En effet à cette date la France a échappé à une croissance nulle de son PIB grâce à la hausse de la consommation publique qui recouvre notamment des dépenses de santé et d’éducation, et à celle de l’investissement public qui a plus que compensé la baisse de l’investissement privé.
De plus, la diminution systématique de certains impôts, comme les impôts sur les sociétés, et de certains transferts réduit l’efficacité des stabilisateurs automatiques que la doctrine ordolibérale considère pourtant comme les seuls moyens d’amortir les fluctuations économiques.
- Le rapport entre l’économique et le social
La conception européenne d’une séparation entre l’économique et le social se traduit explicitement par les dispositions du projet de constitution qui distingue la politique économique de la politique de l’emploi limitée à des mesures ne portant que sur le marché du travail. Quant à l’optique générale de la hiérarchie entre l’économique et le social, elle se manifeste dans la pratique des pays européens.
Une étude de 1999 [5] avait déjà envisagé, parmi les modèles futurs de développement économique en Europe, la possibilité du système actuel caractérisé par une certaine séparation entre l’économique et le social. Dans cette optique le chômage ne résulte pas d’un dysfonctionnement économique, mais il provient d’une inadaptation d’une partie de la population. Donc la solution n’est pas obtenue par une politique économique, mais par des dispositions sociales. C’est ainsi que le modèle anglais accepte de considérer que 2,7 millions de personnes soit traitées comme des invalides ou des malades de longue durée, alors que selon les estimations, plus de 40 % sont des chômeurs de longue durée déguisés. De telles mesures qui sont également prises par d’autres pays sont généralement complétées par des dispositions qui relèvent du traitement social du chômage.
Si certaines mesures économiques sont envisagées pour agir sur le niveau de l’emploi, elles sont généralement limitées au marché du travail comme celles relatives à l’apprentissage ou à un salaire minimum. Cette limitation traduit une seconde dichotomie qui est introduite entre le fonctionnement du marché du travail et celui des autres marchés d’une économie.
Du fait de ces dichotomies, on est amené à négliger l’interdépendance entre le marché du travail et les autres marchés d’une économie et à n’envisager que des solutions partielles pour résorber le chômage. De plus, on tend à oublier les incidences que peuvent exercer les conditions sociales sur l’activité économique. C’est ainsi qu’on n’envisage pas les éventuels effets négatifs que peut exercer sur l’activité économique la précarité croissante du travail qui se manifeste clairement dans les statistiques françaises à la suite de certains assouplissements du code du travail [6]. D’une façon générale, en encourageant la concurrence sociale entre les pays et en favorisant ainsi un nivellement vers le bas des conditions sociales, l’UEM semble ne pas croire dans les vertus stimulantes pour l’économie de bonnes conditions sociales.
En fait, si le bien-être social n’est généralement pas considéré comme une cause du succès économique, il peut, à long terme, en constituer une conséquence. Ce point de vue semble être implicitement admis en Europe où l’on tente de convaincre l’opinion publique qu’il convient d’accepter transitoirement des sacrifices pour assurer une croissance économique qui, à terme, débouchera sur une amélioration du bien-être social. Dans cet esprit, les responsables européens préconisent un renforcement de la flexibilité du marché du travail comme facteur déterminant d’une croissance économique importante et d’un haut niveau d’emploi. [7]
Un modèle instable
Selon le Traité de Maastricht, l’Union européenne doit promouvoir à l’intérieur un progrès et une cohésion sur le plan économique et social et elle doit affirmer à l’extérieur son identité sur la scène internationale.
- Les performances internes du système économique et social européen
Les performances économiques de l’Europe sont inférieures à celles des États-Unis et du Japon. Le tableau suivant limité à la comparaison entre la zone euro et les États-Unis montre que la croissance économique est nettement plus faible et le chômage est plus élevé en Europe qu’aux États-Unis. Pour ce qui est du taux d’inflation, il est plus important aux États-Unis qu’en Europe en 2004 et 2005. Mais une croissance plus élevée et un chômage plus faible n’impliquent pas nécessairement une inflation plus forte. Cela est illustré en 2003 par des taux d’inflation égaux dans les deux économies, alors que les taux de croissance et des taux de chômage différent respectivement de 2 et de 2,9 points au profit des États-Unis.
ZONE EURO | U.S.A. | |||||
Années | Δ PIB (%) | Inflation | Chômage | Δ PIB (%) | Inflation | Chômage |
2003 | 0,5 | 2,3 | 8,9 | 2,5 | 2,3 | 6,0 |
2004 | 2,1 | 2,1 | 8,9 | 3,9 | 2,7 | 5,5 |
2005 | 1,3 | 2,2 | 8,6 | 3,2 | 3 ,4 | 5,1 |
Source : Bulletin de la BCE, 07/2004 et 09/2006
Ces performances globales recouvrent cependant des résultats très disparates, ce qui traduit l’échec de la convergence entre les économies nationales préconisée par le Traité de 1992. En effet l’émergence de l’euro n’a pas abouti à une réduction de l’écart existant entre certaines économies du fait notamment de la concurrence fiscale et sociale et des compression de coûts opérés par certains pays comme l’Allemagne pour gagner des parts de marché au détriment de leurs voisins européens. De plus, certains pays européens hors de la zone euros, comme la république tchèque ont réalisé un taux de croissance plus élevé en 2005 que des pays de la zone, comme le Portugal.
Enfin, l’Europe est en échec dans de nombreux autres domaines, comme la coordination fiscale et les investissements dans les domaines de la recherche, de l’éducation et des nouvelles technologies [8]. La faiblesse du budget européen et les réticences des pays européens à accroître son importance ne permettent pas d’espérer que ces lacunes seront comblées dans les prochaines années.
Cela permet de renforcer la position européenne dans l’économie mondiale. Ces résultats décevants expliquent les doutes et les méfiances des citoyens pour un modèle dont l’application depuis 1999 se révèle économiquement si peu efficace et dont la poursuite exige des sacrifices importants. Une telle organisation ne suscite pas l’adhésion des citoyens, comme le révèle une enquête de 2005 commanditée par la Commission européenne et montrant que, selon l’opinion de 78 % de la population sondée, l’instauration de l’euro n’exerce aucun effet sur leur sentiment d’identité européenne [9]. Faute d’une telle adhésion des citoyens, le modèle européen actuel risque de subir une crise grave.
- Le modèle européen face à la mondialisation
La mondialisation comporte, selon J. Stiglitz, un potentiel important de progrès économique, social, politique et culturel. Mais à côté d’un certain nombre d’effets positifs, elle a entraîné jusqu’ici de nombreux effets négatifs. Cela fait dire à Stiglitz qu’aujourd’hui, « la mondialisation, ça ne marche pas pour les pauvres, ça ne marche pas pour l’environnement, ça ne marche pas pour la stabilité économique mondiale » [10]. Cet échec est attribué essentiellement à une gestion insuffisante de ce processus par les organismes internationaux, comme le FMI, la Banque mondiale et l’OMC.
Le regroupement des pays européens au sein d’une union devrait permettre à chacun de mieux profiter des avantages de la mondialisation et de mieux se protéger contre ses excès. De plus, si l’Union débouche sur un pouvoir politique, elle peut espérer contribuer à l’élaboration d’un système de régulation internationale.
L’émergence d’une monnaie commune assure une protection des pays de l’UEM contre certains effets néfastes de la mondialisation. En effet, elle permet de mutualiser les conséquences négatives des chocs externes, grâce au taux de change unique entre l’euro et les autres monnaies. De plus, comme l’euro s’affirme progressivement comme une monnaie internationale concurrente du dollar et du yen, il fournit à l’Europe un pouvoir monétaire international qui peut contribuer à rendre la mondialisation moins asymétrique. Enfin, cette monnaie assure une certaine stabilité monétaire et financière au sein de l’UEM du fait de l’élimination des fluctuations des taux de change entre les monnaies européennes.
Comme l’euro est une monnaie supranationale au sein de l’UEM, elle permet à celle-ci d’espérer aboutir à une intégration économique et financière plus complète que celle pouvant résulter de la mondialisation dans un espace utilisant trois devises internationales émises par des pays différents. Mais pour que le processus d’intégration européenne n’ait pas les conséquences néfastes de la mondialisation, il devrait être régulé par les autorités publiques. Or l’évolution du système européen traduit plutôt une tendance à la dérégulation. De ce fait, l’Europe semble plutôt reproduire les caractéristiques de la mondialisation, au lieu de protéger ses composantes des excès de cette mondialisation. Cela se traduit par l’acceptation de la concurrence fiscale et sociale non seulement au sein de l’Europe, mais au niveau mondial.
De plus, les intérêts économiques, politiques et sociaux d’une Europe des 25 sont tellement différents qu’une union politique n’est pas envisageable dans un avenir raisonnable. De ce fait, la capacité de l’Europe de participer à la domestication de la mondialisation est actuellement très limitée.
Toutes ces insuffisances font du modèle européen actuel un système instable.
L’évolution du modèle européen
Le modèle européen peut évoluer au moins dans deux directions. L’une implique une rupture avec les pratiques de ces 20 dernières années. Mais elle suppose que se réalisent, sur le plan des institutions de l’Europe et de leur fonctionnement, des réformes importantes que les responsables européens ne sont pas disposés à adopter dans un avenir prévisible ou qu’ils ne peuvent pas envisager du fait de l’exigence de l’unanimité des décisions. L’autre direction se place dans la continuité de la pratique actuelle.
Certains craignent ou espèrent que l’évolution actuelle rapproche le modèle économique de l’Europe de celui des États-Unis. Or, il semble plutôt qu’il s’en éloigne. En effet, aux États-Unis, les principes de l’économie de marché sont appliqués avec beaucoup plus de souplesse qu’en Europe. Leur pratique évolue non seulement en fonction des partis qui se succèdent au pouvoir, mais aussi en fonction des situations économiques. C’est ainsi que l’administration Bush a commencé à affirmer son attachement à un libéralisme extrême, puis elle a accepté certaines interventions publiques à partir de 2001 allant jusqu’à proposer un plan de relance. En fait, l’État américain pratique en permanence des interventions sous la forme de subventions et d’aides sectorielles. C’est ainsi que le gouvernement soutient activement et depuis longtemps le secteur des nouvelles technologies et fournit des aides importantes aux PME. Quant à la Banque centrale, elle n’a pas seulement comme objectif la stabilité des prix, mais aussi la réalisation d’un haut niveau d’emploi. De ce fait, elle est beaucoup plus active que la BCE, comme le montre sa décision de réduire en 2001 son taux d’intérêt directeur de 6,5 % à 1,75 % en 11 mois pour soutenir la conjoncture. Ainsi, comme le note Stiglitz [11], « de nombreux aspects de la politique économique américaine contribuent de manière importante au succès américain, mais sont rarement mentionnés ».
Le modèle économique européen semble donc correspondre à un projet nettement plus libéral que le modèle américain. Mais cette référence au libéralisme est fortement contestée par M. Allais qui est l’un des tenants les plus éminents de cette doctrine [12]. En effet, il considère que les principes mis en œuvre relèvent plutôt du laisser-faire que du véritable libéralisme. Il récuse notamment la concurrence sociale entre des économies dont « les salaires s’établissent à des niveaux incompatibles avec une suppression de toute protection douanière ».
Sur le plan social, on dispose en Europe d’une diversité de modèles. Si ces modèles sont mis en concurrence, comme on peut le supposer du fait de l’absence d’une coopération fiscale et sociale, on aboutira en bonne logique économique à un alignement sur le modèle le moins exigeant.
Une autre évolution, plus volontariste, consisterait à encourager la généralisation du modèle national qui se révèle le plus efficace sur le plan économique en supposant que les pays ayant les taux de croissance les plus élevés ont les résultats sociaux les meilleurs. Mais cette hypothèse est mise en cause par les vérifications empiriques. En effet, selon un rapport sur le développement humain [13] qui effectue un classement des pays en matière économique et sociale, un pays mieux classé sur le plan social que sur le plan économique possède généralement un système social supérieur à la moyenne. Si son classement est inverse, il a un système social inférieur à la moyenne. C’est ainsi que la France qui se place au quatorzième rang pour le PIB par habitant possède un système social nettement au-dessus de la moyenne grâce à ses bons indicateurs sociaux. De même, si la Suède a, comme la Norvège et le Danemark, un PIB par tête très élevé, elle possède un système social sensiblement supérieur à ceux de ces deux pays. Malgré leurs choix politiques différents, la Grande-Bretagne et la Hollande ont des systèmes sociaux comparables et proches de la moyenne. Quant aux États-Unis qui se placent quatrième rang mondial pour le PIB par tête, ils occupent le dix-septième rang social, ce qui implique un système social largement en dessous de la moyenne.
Mais, même si les choix peuvent être orientés par ces informations statistiques, ils peuvent difficilement conduire à une transposition du système économique d’un pays à l’autre. C’est ainsi que les performances britanniques ne sont pas seulement dues à la flexibilité de l’économie, mais aussi à des facteurs non transposables comme la structure de l’appareil de production, l’existence de ressources énergétiques et le maintien de la souveraineté monétaire. De même la transposition en France du système danois de « flexécurité » impliquerait une hausse sensible des coûts de la politique de l’emploi qui représentent 4,6 % du PIB au Danemark contre 3,2 % en France. De plus elle nécessiterait une hausse des prélèvements sociaux et des concessions syndicales importantes portant notamment sur la liberté de licencier.
En fait, le modèle social d’un pays résulte de choix démocratiques fondés sur une sorte de souveraineté sociale qu’il convient de respecter. Mais pour éviter une concurrence sociale qui implique que les choix sociaux d’un pays s’imposent aux autres, il faudrait, selon les propositions de J. Sapir [14], instaurer un protectionnisme social fondé sur des « montants compensatoires sociaux ». ll s’agirait ainsi d’établir les conditions d’une concurrence non faussée préconisée par le projet de constitution européenne.
Conclusion
Du fait de ses faibles performances, le modèle économique et social européen est devenu un système fragile qui suscite une certaine défiance de la part des citoyens. S’il n’est pas ré-orienté, il risque de se fondre dans une économie mondiale non régulée et de subir les effets néfastes de cette mondialisation sans pouvoir bénéficier de ses avantages faute d’un pouvoir de négociation important. Une telle évolution peut déboucher sur une crise grave qui peut conduire à l’éclatement de l’Union européenne ou à une réforme de fond faisant redémarrer l’Europe sur des bases nouvelles. Par contre, une nouvelle orientation du système peut être envisagée à court terme sans nécessairement modifier le Traité de Maastricht. Mais elle nécessite une modification de la pratique européenne fondée sur une interprétation particulière du texte fondateur. C’est ainsi qu’un modèle européen qui assurerait une intégration de l’économique et du social et qui reconnaîtrait la nécessité de certaines interventions publiques comme le modèle américain ne serait pas incompatible avec les dispositions du Traité de Maastricht.
[1] Voir le numéro 12 du Bulletin de l’OPEE consacré à l’analyse du projet de traité constitutionnel.
[2] F. Bilger, « L’école de Fribourg, l’ordolibéralisme et l’économie sociale de marché », Blog de P. Bilger.
[3] Broussolle D.(2004), « La politique industrielle, concurrence et marché unique » dans M. Dévoluy (ed.), Les politiques européennes, Editions du Seuil.
[4] M. Friedman, Le Monde, 23-01-03.
[5] J.P.Fitoussi et al (1999), « Rapport sur l’état de l’Union européenne », Fayard.
[6] Une enquête menée en 2005 dans les pays européens par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail révèle que 50 % des nouveaux entrants sur le marché du travail ont des contrats temporaires et que la part du travail partiel est passée de 13 % à 18 % en 15 ans (Le Monde, 9-11-2006).
[7] Ce point de vue est exprimé explicitement dans le projet de constitution européenne (chapitre3, art III-203.
[8] Artus P.,M-P. Virard (2006), « Comment nous avons ruiné nos enfants », La Découverte
[9] Voir le commentaire des résultats de l’enquête par Koenig G. (2006), « La perception de l’euro par les ménages européens en 2005 », Bulletin de l’OPEE n°14, pp.3-8.
[10] Stiglitz J. (2002), « La grande désillusion », Fayard, p.179.
[11] J.Stiglitz, « Faites ce que nous avons fait, pas ce que nous disons », Les Echos, 10-11-2003.
[12] M.Allais, « Aveuglement », Le Monde,15/16-05-2005.
[13] PNUD, Rapport sur le développement humain, New York, 2004. Les statistiques contenues dans ce rapport sont reprises par J. Sapir, La fin de l’euro-libéralisme, Seuil, pp.135-140.
[14] J. Sapir, op. cit., p.145-151.
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