Les plaintes croisées des USA et de l’Europe à l’OMC dans l’aéronautique : l’aboutissement d’un long différend

Damien Broussolle, Institut d'Etudes Politiques, Université de Strasbourg (LaRGE),

Le différent Airbus Boeing est entré dans une nouvelle phase avec le dépôt des deux plaintes à l’OMC. Airbus, qui a pris la tête dans la compétition internationale dans l’aéronautique est-il menacé ?

Mots-clefs : commerce international, négociations commerciales internationales, Organisation mondiale du commerce (OMC), politique commerciale, relations économiques entre l’UE et le reste du monde.

Citer cet article

Damien Broussolle « Les plaintes croisées des USA et de l’Europe à l’OMC dans l’aéronautique : l’aboutissement d’un long différend », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 13, 8 - 10, Automne 2005.

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Le 20 juillet dernier, l’OMC a constitué deux groupes spéciaux de l’Organe de Règlement des Différents. Le premier est chargé d’examiner la plainte des États-Unis concernant les aides publiques versées à Airbus et le deuxième celle symétrique de l’UE concernant les aides publiques reçues par Boeing. Ces décisions sont la dernière phase (encadré) d’un long processus d’opposition entre les deux parties. Il accompagne la montée en puissance d’Airbus et ses premiers épisodes débutent dans les années 1980.

L’accord de 1992 établit une trêve

Le lancement des Airbus a bénéficié, dès le départ, du système original de financement des avances remboursables qui, dans les débuts, pouvaient atteindre jusqu’à 75 % du coût de développement d’un appareil. Ce système prévoyait les remboursements à partir du moment où l’entreprise devenait rentable. Cet interventionnisme fort avait évidemment pour objectif de permettre une entrée sur un marché à l’origine largement dominé par les constructeurs américains. Ce mécanisme a permis à Airbus de lancer son A310, alors même que l’A300 se vendait mal. Il faut rappeler qu’en 1975 Airbus n’occupait qu’1 % des livraisons mondiales de grands avions civils.

Dans les années 1980 la montée en puissance d’Airbus commence à inquiéter les États-Unis et alors que l’Uruguay Round se déroule, des négociations bilatérales aboutissent en 1992 à un accord transatlantique. Cet accord organise et limite les aides aux constructeurs d’avions civils.

Du côté de l’UE, il prévoit que les avances remboursables seront limitées au tiers du coût de développement des nouveaux programmes d’appareil de plus de 100 places. Le taux d’intérêt pratiqué devra être proche de celui du coût des emprunts d’État. La durée maximale des avances est fixée à 17 ans. Du côté américain, les aides à la recherche aéronautique, qui constituent des aides publiques indirectes, devront être limitées à 4 % du budget des ministères et agences fédérales. En outre, les commandes fédérales qui représentent d’autres aides indirectes sont limitées à 3 % du chiffre d’affaires annuel du secteur aéronautique civil. Cet accord semble satisfaire les deux parties qui y voient le moyen de stabiliser leurs relations.

Cependant depuis cette époque la situation s’est notablement modifiée. D’une part, le GATT devenu OMC s’est intéressé au secteur aéronautique. La définition des subventions acceptables dans ce nouveau cadre ne coïncide pas avec celle de l’accord de 1992 qui est plus souple et permissif. D’autre part, le rapport de force entre Airbus et Boeing s’est nettement détérioré au détriment du dernier avionneur. Bien que Lockheed ait quitté le marché des avions civils et que Boeing ait fusionné avec MC Donnel Douglas, l’avionneur américain a progressivement perdu des parts de marché, pour se trouver derrière Airbus [1]. Bien plus, Boeing semble avoir perdu la main et apparaît dominé par la stratégie de lancement d’appareils d’Airbus. Il s’agit évidemment de l’A380 qui vient concurrencer Boeing sur son segment le plus rentable, mais aussi du fait que depuis 1990 Boeing n’a sorti aucun avion nouveau, contre huit pour Airbus. Enfin, alors que Boeing se décidait enfin à finaliser un programme, celui du 787 « dreamliner », Airbus avançait son A350 en compétition directe.

Les États-Unis rompent la trêve en 2004

Après une valse hésitation de 2000 à 2004 pendant laquelle les États-Unis déposent puis retirent une demande d’arbitrage à l’OMC, ils sautent le pas fin 2004, rapidement suivi par l’UE. Pourquoi ces différents revirements ?

Malgré la dégradation de la situation concurrentielle de Boeing, les États-Unis ont probablement autant à perdre qu’à gagner dans un arbitrage de l’OMC. Si les européens subventionnent bien Airbus, ils le font de façon transparente et surtout les aides sont remboursables. Les soutiens traditionnels américains, sont indirects et plus opaques. Ils sont en outre augmentés d’aides fiscales à l’exportation (Foreign Sales Corporation, déjà condamnées par l’OMC), d’aides d’États fédérés (l’Etat de Washington aurait, à lui seul, versé 3,2 milliards de dollars, soit presque autant que le montant total d’avance remboursable versé pour l’A380), et pour le 787 de subsides japonais. Ces différents éléments font peser un risque sur le règlement final du différent, et ce d’autant plus que Boeing est probablement devenu plus dépendant de ce type de financements qu’Airbus.

La période depuis mai 2004 a donc donné lieu à une valse hésitation où les États-Unis ont successivement soufflé le froid et le chaud, utilisant le recours à l’OMC comme une menace. Dans les négociations entamées chacun des négociateurs cherchait à diminuer les subventions de son rival, donc à préserver l’esprit de l’accord de 1992, sans pour autant aller vraiment devant l’OMC.

Une étape importante de ce jeu a été le dépôt d’une plainte à l’OMC en octobre 2004 par les États-Unis. L’UE a immédiatement répliqué par une contre plainte (encadré). Ces réclamations ont cependant été suspendues en janvier pour une période de trois mois, jusqu’à ce que finalement les États-Unis sautent le pas, fin mai. C’est que les points de vue des deux parties étaient trop éloignés. Les européens souhaitaient englober dans la négociation les subventions accordées à Boeing pour le lancement du 787 par d’autres pays que les États-Unis (Japon notamment) et par les États fédérés. Ce que les États-Unis ne voulaient pas entendre. L’UE proposait comme première étape une diminution des avances remboursables, alors que les États-Unis souhaitaient leur prompte disparition. Parallèlement, la décision annoncée par Airbus au printemps 2005 de lancer définitivement le programme A350 a également joué un rôle dans le choix américain. Enfin, alors que la suspension des plaintes était accompagnée d’un gel des aides, Airbus a, dès la fin de ce moratoire, demandé des avances remboursables pour son nouvel appareil. Certes demander les avances ne signifie pas les obtenir, mais finalement pendant les négociations, la compétition industrielle se poursuivait.

Quoiqu’il en soit de la décision finale de l’organe de règlement des différents, il est probable que chacun des systèmes d’aide en sortira écorné. Pour l’heure, Airbus apparaît néanmoins en position favorable. Des deux avionneurs, quel que soit le résultat de l’arbitrage de l’OMC, c’est en effet le seul qui pourra offrir des appareils récents sur toute sa gamme. Du reste, Airbus s’est en octobre permis de suspendre pour quatre mois le recours aux avances remboursables « étant entendu que Boeing se soumettra aux mêmes restrictions », pour donner un nouveau délai aux négociations.

Chronologie récente

  • 3 octobre 2004 : Les Etats-Unis dénoncent l’accord bilatéral de 1992.
  • 6 octobre 2004 : Les Etats-Unis demandent une consultation à l’OMC sur les avances remboursables fournies à Airbus.
  • 6 octobre 2004 : L’UE demande une consultation à l’OMC sur les subventions reçues par Boeing.
  • 8 octobre 2004 : L’UE récuse l’assertion des Etats-Unis selon laquelle l’accord de 1992 serait caduc, alors que selon le texte il reste valide 12 mois après le retrait d’une des parties.
  • 11 janvier 2005 : Les deux parties suspendent leurs demandes à l’OMC et ouvrent une période de négociation de trois mois pour supprimer les subventions. Pendant cette période, aucune nouvelle aide publique ne devra être accordée dans chaque pays.
  • 16 février 2005 : Les négociateurs s’accordent sur une négociation en deux étapes, avec une phase de réduction des subventions précédant un accord plus large.
  • 11 avril 2005 : La période de trois mois ainsi que les engagements de statu quo se terminent. Les deux parties affichent une volonté de poursuivre les négociations.
  • 18 avril 2005 : Les Etats-Unis menacent de relancer la procédure à l’OMC.
  • 2 mai 2005 : Après une rencontre à Paris les deux parties se mettent d’accord pour poursuivre le dialogue.
  • 27 mai 2005 : L’UE propose une réduction précise des subventions comme première étape à une élimination totale des aides publiques des deux côtés.
  • 20 mai 2005 : Les Etats-Unis rejettent l’offre et relance la procédure à l’OMC.
  • 31 mai 2005 : L’UE relance sa propre demande à l’OMC.
  • 20 juillet 2005 : L’OMC constitue deux groupes spéciaux pour étudier les demandes.

[1Il faut noter que le changement de pourcentage exprime plus la diminution des livraisons annuelles de Boeing, que la progression de celle d’Airbus.

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