La représentation internationale de la zone euro

Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA).

Ce sont des États qui adhèrent aux institutions internationales. Or la BCE n’est pas la banque centrale d’une entité politique. Cette originalité fragilise la lisibilité internationale de la zone euro. Il appartient à la BCE d’affirmer sa présence à partir d’une lecture pragmatique du Traité.

Mots-clefs : Banque centrale européenne (BCE), Ecofin, gouvernance économique et financière en Europe, gouvernance économique et financière internationale.

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Michel Dévoluy « La représentation internationale de la zone euro », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 5, 23 - 25, Hiver 2001.

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L’hégémonie du dollar comporte deux volets : il est la monnaie internationale par excellence ; et les États-Unis ont une place prépondérante dans l’organisation du système monétaire et financier mondial. Si l’euro veut jouer un rôle dans l’ordre monétaire mondial, il doit être présent sur ces deux volets. Le potentiel de diffusion de l’Euro comme monnaie internationale existe. Par contre, le problème de la représentation internationale de l’Euro-système reste, en partie, posé. Pour être puissant, il faut parler d’une voix forte et unique. Or, la BCE n’est pas encore la banque centrale d’un État. Certes, la politique monétaire relève de la compétence exclusive de la BCE. Mais d’autres missions, comme la politique de change ou les politiques de surveillance bancaire, tendent à être partagées entre la BCE et les États membres. Cette diversité des situations ne facilite pas l’identification et le poids de l’Eurosystème sur la scène internationale.

Des compétences partagées

Le Traité instaure un partage des compétences entre la BCE et le Conseil Ecofin dans le domaine de la politique des changes. Les cinq alinéas de son article 111 permettent de résumer l’essentiel.

  • a.1. Indique que si l’Euro appartient à un système de change réglementé, le choix des taux de change officiels relève du Conseil Ecofin. On applique ici la logique de la souveraineté nationale. C’est donc l’instance politique qui décide.
  • a.2. Stipule que, dans le cadre d’un système de change flexible, la BCE mène librement ses opérations de change, sous la condition expresse de respecter sa mission de stabilité des prix. Toutefois le Conseil Ecofin peut formuler des orientations générales sur la politique de change à suivre, en statuant à la majorité qualifiée.
  • a.3. Précise que le Conseil Ecofin doit veiller à ce que les États de l’Union formulent des propositions fondées sur une position unique lorsqu’ils sont amenés à négocier, au niveau international, de façon individualisée sur les questions monétaires.
  • a.4. Affirme que le Conseil Ecofin doit parler au nom de la zone euro, lorsque celle-ci est concernée en tant que telle.
  • a.5. Laisse aux États membres la possibilité de négocier individuellement si cela ne porte pas préjudice à l’intérêt de l’ensemble.

On retrouve la question du partage des compétences au sujet du contrôle prudentiel, dont la finalité est de réduire les risques de crises financières. L’article 105.5 stipule que « Le SEBC contribue à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des établissements de crédit et la stabilité du système financier ». Cela signifie qu’aucune institution ne reçoit la mission précise d’assurer le contrôle prudentiel au niveau de l’Eurosystème.

Le Conseil européen de décembre 1997 à Luxembourg a orienté la lecture du Traité. « En ce qui concerne la mise en œuvre des dispositions relatives à la politique d’échange, il est entendu que les orientations générales de politique de change vis-à-vis d’une ou de plusieurs monnaies non communautaires ne seront formulées que dans des circonstances exceptionnelles à la lumière des principes et politiques définis par le Traité ». (Extraits des conclusions du Conseil).

Le Conseil européen de décembre 1998 à Vienne a, pour sa part, insisté sur la nécessité de voir l’Eurosystème parler d’une seule voix sur la scène internationale. De plus, il a souligné l’intérêt d’une démarche pragmatique de tous les acteurs afin de progresser sans avoir à procéder à des réformes institutionnelles lourdes et longues.

Une représentation pragmatique…

Le pragmatisme recommandé à Vienne a été largement appliqué dans les organisations et les grands forums internationaux. Nous retenons ici les résultats les plus marquants. La BCE, dans son Bulletin Mensuel de janvier 2001, offre une présentation plus complète.

  • La zone euro, qui n’est pas un État, ne fait pas partie des 182 pays membres actuels du FMI. Néanmoins, dès le 21 décembre 1998, le FMI a accordé un statut d’observateur permanent à la BCE. De ce fait, elle participe aux principales réunions du Conseil d’administration. Par ailleurs, le Président de la BCE est invité aux sessions du Comité monétaire et financier international (CMFI) qui se réunit deux fois par an.
  • L’Union européenne n’a pas la qualité d’État membre de l’OCDE, ils sont 29. Cependant, elle possède une représentation permanente auprès de l’organisation. A ce titre, la BCE participe aux réunions, en qualité de membre de la délégation de la Communauté, pour toutes les questions d’ordre monétaire.
  • La BRI organise, depuis 1930, la coopération entre les banques centrales. Ces institutions en sont d’ailleurs les actionnaires. En novembre 1999, la BCE est devenue un des 50 actionnaires à part entière. La BCE jouit par conséquent des droits de vote et de représentation aux assemblées générales de la BRI. Elle participe naturellement à toutes les activités de la BRI. En particulier, le président de la BCE a été intégré aux réunions des Gouverneurs du Groupe de Dix qui se tiennent à Bâle, tous les deux mois, pour traiter des grandes questions économiques, monétaires et financières.

La BCE est donc présente dans les débats des organisations internationales. On la retrouve également dans les forums où se rencontrent les ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales.

*- Le G7 (ou G8 lorsque la Russie participe) représente depuis 1985 un forum pour des échanges de vues sur les évolutions macroéconomiques et sur les sujets liés aux politiques économiques et financières. Le niveau des représentants peut varier : Ministres de finances, Gouverneurs des banques centrales, Chefs d’États ou de gouvernement. Le Président de la BCE (et le Président de l’Eurogroupe) représentent la zone euro lorsque les questions de politiques macroéconomiques et de taux de change sont abordées.

  • Le G10 (ils sont aujourd’hui 11) s’est constitué en 1963, lorsque 10 États ont décidé de fournir au FMI les fonds nécessaires au bon fonctionnement des Accords généraux d’emprunt (AGE). Il est également un forum de discussion. Les Participants au G10 sont les Ministres des finances et les Gouverneurs des banques centrales. Le Président de la BCE assiste aux réunions avec le statut d’observateur.
  • Le G20 est le G7 très élargi. Comme pour le G7, le Président de la BCE (et le Président de l’Eurogroupe) représentent la zone euro.
  • Une place particulière doit être donnée au Forum sur la stabilité financière (FSF), créé en 1999. Son objet est d’évaluer la vulnérabilité du système financier international et de se doter des moyens de surveillance dans ce domaine. L’amplitude des crises financières récentes au niveau mondial explique son existence. La participation au FSF des autorités nationales des grands pays (G7 Plus Australie, Hong-Kong, Pays-Bas et Singapour) et des organismes et des instances monétaires internationales,dont la BCE, témoignent des liens puissants entre les sphères monétaires et financières au niveau mondial. Le FSF a identifié douze normes et codes essentiels qui permettent d’assurer le bon fonctionnement des systèmes financiers.

L’importance actuelle du FSF souligne le poids de la sphère financière dans les réflexions actuelles sur l’ordre monétaire mondial. Là encore, la BCE est présente dans les débats.

... mais aux ambitions encore trop modestes

L’Euro donne du poids, et donc des responsabilités, à l’Union européenne. Elle ne peut pas se désintéresser de l’ordre financier et monétaire mondial. Nous venons de voir que, malgré l’absence d’union politique, la lisibilité internationale de la BCE existe. Elle a donc les moyens d’y jouer un rôle, mais jusqu’où ? Nous en donnons deux illustrations.

La BCE reste très prudente dans les débats sur une éventuelle réforme du Système Monétaire International. « Des politiques équilibrées, écrit-elle, sont une condition essentielle de l’intégration ordonnée dans le système économique et financier mondial. Le caractère équilibré de ces politiques va au-delà du domaine macroéconomique traditionnel et comprend, en particulier, la gestion prudente des risques liés aux engagements extérieurs, une libéralisation réfléchie des mouvements de capitaux et une politique de change appropriée. (...) L’eurosystème insiste sur le fait que le choix d’un régime de change dépend de caractéristiques propres à chaque pays ». (BCE, rapport annuel 2000,pp. 116-7). La BCE ne se préoccupe pas de la coordination des régimes de change au niveau mondial. Elle n’est donc pas dans la perspective de la nécessité d’un nouveau Bretton Woods.

Au contraire, la BCE est très active dans le domaine de la stabilité financière internationale. Ses réactions au lendemain des attentats du 11 septembre aux États-Unis sont à cet égard exemplaires. Dès le 12 septembre, la BCE a massivement fourni des liquidités aux marchés. Le 17, elle a immédiatement accompagné la décision de la Fed en baissant ses taux directeurs du même montant, soit 0,5 points. En s’impliquant de la sorte, la BCE a donné un signal important pour marquer sa présence sur la scène internationale. Mais Force est de constater que trois facteurs jouent encore en sa défaveur :

  • le partage ambigu des rôles entre la BCE et le Conseil Ecofin ;
  • l’avenir incertain des contours de la zone euro, à cause des trois absents actuels (le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark), et du fait des perspectives d’élargissement ;
  • l’absence d’union politique qui empêche l’Europe de parler d’une seule voix.

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