La politique agricole commune : les enjeux de la réforme et le défi de l’élargissement de l’UE
Meixing Dai, Université de Strasbourg (BETA) et CNRS
La politique agricole commune (PAC), introduite en 1962, a connu une remise en cause de ses fondements économiques initiaux ainsi qu’une série de réformes menées sous pression, tant interne à la Communauté (coûts pour le budget européen, coûts économiques, inégalité de revenus et de richesses des agriculteurs, pollution), qu’externe (coûts pour les autres pays). Les négociations en cours au sein de l’OMC vont dans le sens d’une libéralisation du commerce agricole et impliquent une adaptation de la PAC et une ouverture plus grande du marché européen des produits agricoles au reste du monde. Étant donné que la conciliation des intérêts des États membres de l’UE débouche sur un budget agricole quasiment fixe dans les années à venir, l’intégration des pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) devient un vrai défi politique.
Mots-clefs : développement durable, élargissement de l’UE, Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO), Politique agricole commune (PAC), système de paiements découplés.
Citer cet article
Meixing Dai « La politique agricole commune : les enjeux de la réforme et le défi de l’élargissement de l’UE », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 10, 18 - 24, Été 2004.
La remise en cause des fondements économiques traditionnels
Les arguments traditionnels en faveur de la PAC (sécurité d’approvisionnement, sous-développement du secteur agricole et manque de compétitivité des petites exploitations familiales, fortes fluctuations des prix et des revenus agricoles ainsi que le protectionnisme agricole des autres pays) peuvent être plus ou moins contestés aujourd’hui. La sécurité d’approvisionnement ne justifie plus le maintien de la PAC en présence d’une offre européenne largement excédentaire. L’autosuffisance en produits agricoles est plus pénalisante en cas de pollutions massives (Tchernobyl) ou encore en cas des maladies touchant les animaux (ESB et fièvre aphteuse). Elle ne pourrait que déplacer les problèmes en impliquant une plus grande dépendance en termes d’énergie ou d’engrais chimiques. Quant au progrès technique, il pourrait être mieux assuré par une concurrence plus forte sur le marché agricole (notamment des intrants). La stabilité des revenus des agriculteurs est peut-être mieux assurée par une diversification de la production et des revenus que par une spécialisation. Étant donné que chaque pays a son propre système d’allocation de revenus, un système de soutien des revenus séparé (inclus dans la PAC) n’est peut-être pas nécessaire. Une justification acceptable encore aujourd’hui pourrait être qu’il est politiquement difficile d’accepter des prix agricoles très volatiles, qui se traduisent par une forte fluctuation des revenus des agriculteurs et des budgets alimentaires des ménages. Le protectionnisme ne peut être justifié que quand l’agriculture est peu développée et manque de moyens financiers, et que les autres pays le pratiquent aussi.
La PAC permet d’éviter les problèmes résultant des politiques nationales non harmonisées. Dans un contexte dynamique, son efficacité diminue au fil des progrès techniques et de la réalisation des objectifs initiaux, tout en connaissant des charges croissantes économiquement injustifiables. Le développement durable et la multifonctionalité sont considérés comme les nouveaux fondements justifiant tant le maintien que les réformes de la PAC. Le premier n’est pas spécifique à l’agriculture et vise à réconcilier le développement économique et social, la protection de l’environnement et la conservation des ressources naturelles. La multifonctionalité [1] décrit le fait que l’agriculture fournisse aussi des services multifonctionnels (sécurité d’approvisionnement, protection de l’environnement, aménagement du territoire, apport socioculturel, sécurité alimentaire et bien-être des animaux) qui sont de plus en plus mis en avant pour justifier le maintien de la PAC et pour formuler de nouvelles mesures politiques. Les agriculteurs, par leur activité de production, peuvent générer des effets d’externalité positifs ou négatifs. Leur analyse et mesure s’avèrent cependant complexes. Le marché est défaillant pour les rémunérer ou pour fixer leurs tarifs, ce qui conduit à une distorsion au niveau de la production (trop de pollution, offre insuffisante des externalités positives et des biens publics). Par ailleurs, la quantité et la qualité des services ne sont pas proportionnelles à la production agricole et elles dépendent des pratiques de production et de l’utilisation des différents facteurs. Une PAC visant la multifonctionnalité pourrait ne pas être optimale car certains services seraient peut-être mieux traités au niveau national. En outre, il est difficile de mesurer et de contrôler les services fournis réellement par les agriculteurs.
Les pressions pour la réforme
La PAC a pour principe d’assurer la liberté de circulation des produits agricoles entre les pays membres, un prix commun pour les producteurs, la solidarité financière et la préférence communautaire. Le système initial de soutien et de protection est axé autour d’un prix indicatif, un prix d’intervention et un prix de seuil. Le premier est le prix que la CE souhaite que les producteurs agricoles obtiennent compte tenu de la production escomptée, des besoins à satisfaire et de la garantie de revenu donnée aux agriculteurs. Le deuxième, fixé par le Conseil des Ministres de l’agriculture, est le prix minimal garanti ou prix plancher, à partir duquel la CE est prête à intervenir par achat de toute quantité nécessaire afin d’empêcher que le prix de marché descende en dessous de ce niveau. Le troisième est le prix minimum que les produits importés doivent atteindre à la frontière de la CE. Ce système, combiné avec les subventions à l’exportation et les tarifs douaniers variables, permet d’isoler le marché européen dont le prix pratiqué est en général plus élevé que sur le marché mondial.
Sous ce système de protection et grâce au progrès technique rapide, l’offre des produits agricoles de la CE augmentait constamment plus vite que la demande. Les excès d’offre de nombreux produits entretiennent des pressions pour la réforme. Trois mécanismes visant à contrôler l’offre agricole ont été introduits au début des années 1980 ou ont vu leur application se généraliser. Il s’agit des quotas de commercialisation (dans le secteur laitier), des taxes de co-responsabilité et des stabilisateurs budgétaires (céréales, viande bovine, etc.). Leur introduction marquait la fin des garanties de prix sur des quantités illimitées. Ils ont permis de limiter la progression du budget agricole sans résoudre définitivement les problèmes.
Les coûts budgétaires de la PAC ne cessaient de croître depuis sa mise en place en 1962. Ils atteignent en moyenne 42 mds d’euros au début des années 2000 et représentent environ 43 % du budget communautaire et 0,44 % du PIB européen. L’OCDE (2002) [2] estime que les soutiens à l’agriculture coûtent respectivement 118 mds d’euros en 2001. Les consommateurs supportent des coûts évalués à 52,8 mds d’euros en 2001, le reste étant supporté par les contribuables. Les pertes économiques totales, en tenant compte de la distorsion de concurrence dans l’industrie agroalimentaire et des effets négatifs sur les autres secteurs, sont estimées à 0,5 % du PIB dans les années 1990 après la prise en compte des effets des réformes partielles. L’UE, étant rendue responsable des prix faibles et très volatiles sur le marché mondial, pourrait subir aussi un coût politique se reflétant dans un plus faible pouvoir de négociation sur les dossiers profitables aux autres secteurs.
Les agriculteurs ne bénéficient pas de la même manière des aides accordées dans le système initial et amendé. Les grandes exploitations, représentant une minorité des agriculteurs, bénéficient de la majorité des aides à l’agriculture. La PAC contribue dans le passé à créer des inégalités de revenus entre les exploitants déjà bien installés et ceux s’apprêtant à s’installer par une hausse du seuil d’investissement minimal. Une hausse des aides se traduit en général par celle des revenus futurs et du prix des terres favorisant ainsi les propriétaires et parfois les locataires exploitants existants. Face aux coûts d’entrée élevés et à des contraintes empêchant l’entrée des capitaux extérieurs dans ce secteur, certains agriculteurs ne disposant pas de financement familial sont lourdement endettés et ont une situation financière fragile, résistant mal à tout risque touchant leur récolte et le prix de vente ou aux changements de la PAC dans le sens d’une baisse des aides directes et indirectes.
L’industrie fournissant des intrants à l’agriculture est caractérisée par un pouvoir de marché important. Les entreprises de ce secteur disposent d’un nombre important de brevets portant sur les pesticides, les graines et les races d’animaux. Elles sont favorisées indirectement par les aides qui accroissent l’utilisation des intrants.
La PAC incite, par ses différentes mesures, les agriculteurs à pratiquer une agriculture intensive et très spécialisée. Les effets négatifs sur l’environnement sont multiples et ils se sont traduits par une pollution de l’eau importante, une érosion des terres ainsi que la disparition d’espèces sauvages. Les réformes entreprises dans les années 1980-90 (quotas de commercialisation, taxes de coresponsabilité et stabilisateurs budgétaires) ne soulagent que temporairement les pressions liées aux problèmes environnementaux.
La protection du marché agricole européen engendre, au fil de l’élargissement de la CE, une pression croissante d’autres pays producteurs subissant non seulement la privation des parts de marché dans la CE mais aussi les effets des exportations subventionnées, de plus en plus importantes. Dans le cycle de négociations de l’Uruguay, les grands pays producteurs agricoles (les États-Unis et le groupe Cairns [3]) ont fait pression pour inclure l’agriculture dans les négociations. Sous leur pression, la CE a mis en œuvre en 1992 la réforme de Macsharry réduisant le prix de soutien, assortie d’une aide compensatoire liée à la production et sous condition de réduction des intrants (gel de terre dans la filière céréalière). La CE s’est engagé, après un accord, dans un processus de baisse importante des aides et de l’ouverture du marché agricole pour la période allant de 1995 à 2000. La PAC continue à faire l’objet de pression des autres pays dans les négociations actuelles de l’OMC (cycle de Doha) pour aller dans le sens de plus de libéralisation et du découplage des aides par rapport à la production.
Le système de paiements découplés
Les problèmes soulevés par la politique agricole ont incité certains économistes à trouver un mécanisme qui minimise la distorsion d’échange et qui permet de faciliter des réformes. Il s’agit du système de paiements découplés de la production ou d’aides directes au revenu. Ces aides directes, par rapport aux instruments de soutien indirects, ont plusieurs avantages [4] . Elles libèrent les marchés des biens et des actifs agricoles des distorsions introduites par les mesures de soutien antérieures. Elles clarifient les montants reçus par chaque bénéficiaire. Elles permettent un ciblage fin des destinataires. Elles affectent moins les décisions de production et créent un déséquilibre moindre du marché, puisqu’elles ne sont pas liées directement à l’activité.
Le découplage a néanmoins ses propres limites. D’abord, les aides directes pourraient affecter les décisions d’entrée des jeunes dans l’agriculture. Par conséquent, ces aides ne doivent pas être conçues comme étant permanentes, mais uniquement comme des mesures temporaires (par exemple sur 10 ans) compensant les pertes des agriculteurs mal orientés par la PAC passée. Elles doivent d’ailleurs baisser dans le temps. Ainsi, en limitant les aides directes aux agriculteurs actuels, on pourrait éviter les entrées qui n’auraient pas eu lieu en l’absence des aides publiques. De même, ces aides transitoires ne doivent pas être appliquées aux futurs pays candidats à l’UE, à moins que leur politique agricole nationale soit telle qu’une transition vers le marché européen fasse apparaître des situations difficiles pour leurs agriculteurs.
Ensuite, le découplage des aides peut entraîner la localisation dans les zones urbaines des activités agro-industrielles puisqu’il engendre une hausse de coûts salariaux dans les zones rurales éloignées des centres urbains. Le développement rural que la PAC cherche à favoriser risque alors d’être pénalisé.
Enfin, le découplage soulève des problèmes d’efficience et d’incitation au travail. Le revenu d’un fermier dépend en partie de ses efforts et de sa recherche pour les opportunités de gains, à l’intérieur ou à l’extérieur de sa ferme. La disponibilité des aides directes fournit des incitations négatives à l’effort. Cela pourrait conduire certains à réduire leurs efforts afin de satisfaire les exigences pour les versements des aides. La solution consiste à conditionner l’attribution des aides à l’accomplissement de certains devoirs nécessitant du temps de travail. Les agriculteurs dont les rendements par temps de travail sont meilleurs vont choisir de ne pas se soumettre à cette contrainte de temps et préfèreront leurs activités habituelles. Au niveau budgétaire, la baisse de coûts due à un meilleur ciblage doit être comparée avec la hausse de coûts administratifs et les bénéfices publics résultant de l’accomplissement des travaux exigés des destinataires des aides.
La mise en œuvre d’un système de paiements découplés de la production permet, en aidant les agriculteurs les moins aisés, de désamorcer les pressions des agriculteurs qui souhaitent bloquer les réformes touchant leur acquis. En mettant en évidence les subventions agricoles, ce système peut changer l’orientation de l’opinion publique qui serait peut-être moins encline à soutenir une politique dont les coûts risquent d’être de plus en plus lourds. La généralisation de ce système fait naturellement craindre aux agriculteurs le démantèlement de la PAC.
Les nouveaux objectifs
Les mesures de réforme dans les années 1980 et 1990 de la PAC sont de l’intérêt des partenaires commerciaux de l’UE et des consommateurs européens. Les subventions payées par des taxes sont plus transparentes. Il en résulte une plus grande complexité du système du fait de la nécessité de vérifier les conditions fixées par l’UE et de la coexistence des anciennes et des nouvelles mesures. Les coûts administratifs ainsi que les possibilités de fraude augmentent par rapport à l’ancien système.
Dans la communication « Agenda 2000 », publiée en 1997 sous la présidence de Jacques Santer, la Commission européenne a fait un certain nombre de propositions concernant la PAC pour la période 2000-2006 en vue de l’élargissement aux PECO, à Chypre et à Malte et plus tard à la Roumanie et à la Bulgarie (ce qui risque à terme d’augmenter de 45% la surface cultivable dans l’UE et de doubler la main-d’œuvre agricole, et impose une contrainte financière importante) ainsi qu’en vue du nouveau cycle de négociations commerciales au sein de l’OMC (ce qui signifie une plus grande libéralisation des marchés agricoles de l’UE).
L’Agenda 2000 propose une forte baisse des prix d’intervention de 15 % à 30 % (20 % pour les céréales, 30 % pour la viande bovine, 15 % pour les produits laitiers). La compensation de pertes de revenus par des aides directes n’est que de 50 % à 80 %. Afin de justifier les mesures de réforme en cours, de nouveaux objectifs sont fixés pour la PAC. Il s’agit : d’améliorer la compétitivité ; d’assurer la sécurité et la qualité alimentaire ; de garantir un niveau de vie équitable à la population agricole ; de prendre en compte les objectifs environnementaux ; de diversifier les revenus et l’emploi pour les agriculteurs ; ainsi que de contribuer à la cohésion de l’UE en encourageant la diversification économique des zones rurales.
L’accord de Berlin en mars 1999 fixe les règles obligatoires et facultatives pour la redistribution des aides directes : les aides peuvent être modulées par les pays dans la limite de 20 % du total des aides qu’ils perçoivent (la PAC devient un peu moins commune). Le principe de l’éco-conditionnalité a été introduit : les États ont l’obligation de lier les aides aux exigences environnementales, mais ils sont libres des modalités. Le Conseil européen de Berlin a déterminé un cadre financier de la réforme définie par l’Agenda 2000, en estimant qu’elle peut être mise en œuvre en limitant les dépenses agricoles à 40,5 mds d’euros par an, plus 14 mds d’euros sur la période concernée pour le développement rural ainsi que pour les mesures vétérinaires et phytosanitaires. Le budget total prévu, aux prix de 1999, passe de 40,92 mds d’euros en 2000 à 43,9 mds d’euros en 2002, pour redescendre progressivement à 41,66 mds d’euros en 2006. Une part légèrement croissante (4,3 mds d’euros en 2000 et 4,37 mds d’euros en 2006) du budget annuel serait consacrée au développement rural ainsi qu’à des mesures d’accompagnement.
Le Conseil européen de Bruxelles en octobre 2002 a apporté des précisions sur les questions agricoles liées à l’élargissement prévu dans l’Agenda 2000, en définissant les aides dont bénéficieront progressivement les agriculteurs des nouveaux pays membres. En imposant un plafonnement de financement de la politique agricole, le Sommet de Bruxelles rend indispensables les futures réformes qui doivent contenir l’augmentation de dépenses tout en faisant des arbitrages nécessaires entre les différents objectifs, les différentes régions et les différents États membres. En limitant le niveau de dépenses en termes nominaux sur la période 2007-2013 à un montant inférieur à celui de 2006 majoré de 1 % par an, on risque de connaître une baisse des dépenses de la PAC en termes réels, à moins que l’UE connaisse une inflation plus faible que 1 % par an. L’élargissement de l’UE dans un cadre budgétaire global donné aura des conséquences négatives importantes en termes financiers pour les agriculteurs de l’UE à 15.
Étant données la pression extérieure liée aux négociations de l’OMC et la contrainte financière, la Commission a proposé un projet de réforme (projet Fischler) dans l’esprit de l’Agenda 2000 pour l’après 2005 avec une période de transition possible jusqu’en 2007. Celui-ci vise initialement un découplage total des aides aux agriculteurs. Le découplage consiste à remplacer les primes actuelles liées à la production par un paiement unique par exploitation. Le montant du paiement sera calculé sur la moyenne des aides de la période 2000-2002, avec des plafonds globaux par pays. Mais cet objectif d’un découplage total se heurte au refus de la France et de l’Espagne.
Les mesures de réforme finalement adoptées en juin 2003 à Luxembourg par les ministres européens de l’agriculture prévoient un découplage partiel pour certaines productions. Ainsi le découplage ne touchera que 75 % des aides aux productions céréalières, tout en autorisant un État membre à pratiquer un découplage à 100 %. En ce qui concerne la viande bovine, deux options sont ouvertes pour les États membres. La première permet de conserver la prime à la vache allaitante au prix d’un découplage à 60 % de la prime à l’abattage. La deuxième autorise le maintien de la prime à l’abattage sous condition d’un découplage à 25 % de la prime au bovin mâle. Les versements du paiement unique seront subordonnés au respect de normes environnementales, de sécurité alimentaire, de santé animale et végétale et de bien-être des animaux. Ils seront réduits de 3 % en 2005, de 4 % en 2006, puis de 5 % par an de 2007 à 2013 pour les exploitations recevant plus de 5 000 euros de paiements directs par an. Cette mesure ne s’applique pas aux exploitations percevant une aide inférieure à 5 000 euros, ainsi qu’aux régions ultra périphériques.
À partir de 2007, le montant des aides pourra être ajusté au cas où le budget agricole prévu dans l’Agenda 2000 sera dépassé. Les autres mesures arrêtées concernent les interventions sur le marché agricole. Les prix d’interventions de l’orge, du maïs et du blé resteront inchangés. Les majorations mensuelles pour les aides au stockage sont maintenues mais seront réduites de 50 %. Pour les produits laitiers, le système de quotas est prorogé jusqu’à 2014-2015. Le prix d’intervention du beurre sera réduit de 25 % en quatre ans et celui de la poudre de lait de 15 % en trois ans.
Les implications de l’élargissement de l’UE aux PECO
L’élargissement de l’UE aux PECO en 2004 a des implications importantes pour la PAC. Le secteur agricole occupe une place plus importante dans l’économie des nouveaux pays membres que dans celle de l’UE à 15. En 2001, ce secteur représentait 13,2 % de l’emploi chez les Dix contre 4,2 % pour l’UE à 15. La part de l’agriculture dans le PIB est de 3,1 % dans les PECO contre 1,7 % dans l’UE. La Pologne, la Hongrie et la République tchèque sont les premiers en termes de surfaces cultivables (respectivement 18,25, 5,85 et 4,28 millions d’hectares). L’agriculture représente 19,2 % de l’emploi total en Pologne, 16,5 % en Lituanie et 15,1 % en Lettonie, contre 6,1 % en Hongrie et 4,9 % en République tchèque. L’agriculture représente entre 1,7 % (République tchèque, le plus faible) et 3,8 % (Hongrie, le plus élevé) du PIB dans les PECO. Pour la Roumanie et la Bulgarie, qui pourraient rejoindre l’UE après 2007, l’agriculture représente respectivement 12,9 % et 11,5 % du PIB, et 44,4 % et 9,7 % de l’emploi total. A terme, la surface agricole européenne va augmenter de 45 % avec 60 millions d’hectares (dont 18 pour la Pologne et 15 pour la Roumanie) qui viendront s’ajouter aux 135 millions d’hectares de la superficie agricole utilisée dans l’UE à 15. La main d’œuvre agricole européenne sera multipliée par deux pour atteindre un peu moins de 30 millions d’agriculteurs avec 14 millions d’actifs agricoles supplémentaires en provenance des futurs pays membres. Les estimations en termes d’emplois étant basées sur le nombre d’agriculteurs actuels, il est fort probable que le nombre d’agriculteurs dans les PECO diminue fortement à l’échéance.
Étant donnés les écarts de productivité, de salaires et des prix entre les pays de l’UE à 15 et les futurs pays membres, l’application de la PAC soulève de nombreuses questions. Il faut noter que l’agriculture constitue un secteur important pour certains pays de l’UE à 15 en termes de PIB (6,7 % pour la Grèce et 3,6 % pour l’Espagne) ou en terme d’emplois (16 % pour la Grèce, 12,9 % pour le Portugal, 7 % pour l’Irlande et 6,5 % pour l’Espagne). Cela n’a pas constitué jusqu’à présent un obstacle majeur étant donnés l’étalement dans le temps de leur intégration et l’absence de contraintes budgétaires. L’intégration des PECO est par contre concentrée dans le temps dans un contexte où la PAC est soumise à une contrainte budgétaire rigide. Cependant, l’UE est contrainte par la logique même de la PAC, considérée comme un acquis communautaire. Il est donc impossible de ne pas appliquer les règles de la PAC aux futurs pays membres. La création d’une PAC à deux vitesses est inacceptable pour les États membres pour des raisons d’équité mais également d’efficacité en terme de distorsion des échanges. L’application des aides prévues par la PAC aux futurs pays membres risque de compromettre la restructuration de leur économie qui doit diminuer le poids de l’agriculture tant en terme de PIB qu’en termes d’emplois. Une application des aides, même partielle, risque d’encourager les agriculteurs à rester dans l’agriculture qui procure un revenu plus élevé que dans les autres secteurs de l’économie. Une production plus importante, un niveau d’emploi plus élevé que nécessaire et des transferts des ressources supplémentaires vers ce secteur dans les nouveaux pays membres créent en termes économiques des pertes de bien-être social pour l’ensemble de l’UE. L’application des aides à ces pays risque d’empêcher les futures réformes qui consistent à libéraliser totalement le secteur agricole. Par conséquent, les aides apportées aux nouveaux pays membres de l’UE ne doivent pas être de nature à figer l’agriculture dans ces pays admis et à créer des inefficacités au niveau du système productif. Elles doivent par contre favoriser la modernisation de l’agriculture et l’amélioration de la qualité des produits agricoles dans les nouveaux pays membres.
Les conséquences de l’élargissement ont été largement discutées par les économistes. Cependant, les effets dépendent des hypothèses relatives aux mesures adoptées par la PAC pour faire face à l’élargissement de l’UE. Des gains sont plus ou moins importants pour les pays candidats [5] dans les scénarios d’une libéralisation partielle ou totale de la PAC. Les gains de bien-être social pour les pays candidats admis sont dus, soit à la création de commerce entre les PECO et l’UE à 15, soit aux transferts budgétaires (subventions liées aux terres cultivées). Les autres pays sont pénalisés par les effets de détournement de commerce dus à l’élargissement et à l’application de la PAC à ces nouveaux pays. Les pays candidats à l’UE (Roumanie et Bulgarie) sont pénalisés en raison de la concurrence accrue vis-à-vis de leurs produits sur le marché de l’UE. Les pays de l’UE à 15 payeront les coûts liés à l’extension de la PAC aux nouveaux pays.
Initialement une concurrence forte des PECO est à craindre pour les productions agricoles de l’UE à 15, étant donnés le faible coût de mains-d’œuvre et le prix bas des produits agricoles dans les PECO. Dans les faits, à qualité égale, le prix dans les PECO est en général proche voire supérieur au prix communautaire. L’élargissement de l’UE ouvre dans un premier temps des perspectives d’exportations pour les pays de l’UE à 15. Néanmoins, les offres dans les PECO risquent de se modifier et de devenir plus compétitives au fur et à mesure de la modernisation de la production agricole.
Sous une contrainte budgétaire qui risque de se resserrer de plus en plus, les réformes de la PAC en cours et à venir devraient chercher un partage équitable (ou à défaut acceptable) des aides entre les pays de l’UE à 15 et les PECO admis, afin d’éviter des conflits majeurs entre les différents pays. Sur le plan financier, la prise en compte des différents éléments a permis d’obtenir un compromis lors du Conseil européen de Bruxelles d’octobre 2002. Les agriculteurs des PECO toucheront les aides par paliers : 25 % du niveau d’aides directes versées aux agriculteurs de l’UE à 15 en 2004, puis elles seront augmentées de 5 points chaque année pour arriver à 100 % en 2013. Les pays de l’UE à 15, bénéficiaires de la PAC, devraient donc toucher moins de subventions à mesure de la montée en puissance des aides directes dans les nouveaux pays membres, qui se fera dans un cadre de stabilité du budget global de la PAC.
La pression d’autres pays tiers, subissant l’effet de détournement de commerce résultant d’une hausse du niveau de protection dans les pays entrant dans l’UE, va se faire sentir dans l’avenir, notamment à l’occasion des négociations au sein de l’OMC. Les effets de l’intégration des PECO sur l’agriculture d’autres candidats à l’UE ont été pris en compte par cette dernière. En effet, après la décision d’élargir la PAC aux nouveaux pays membres, l’UE a pris en novembre 2002 la décision d’augmenter fortement dans les années à venir son assistance financière à la Roumanie et à la Bulgarie pour favoriser les réformes économiques, tout en compensant en partie les effets négatifs du premier élargissement.
Conclusion
Les fondements économiques traditionnels de la PAC sont de plus en plus contestés. La mise en avant de nouveaux arguments, tels que la multifonctionalité ou le développement durable, ne permet pas de justifier pleinement la PAC existante. Cependant, la réorientation de la PAC vers le développement durable, en prenant en compte la multifonctionnalité de l’agriculture, permet de maintenir un soutien à l’agriculture et reflète aussi les besoins actuels des consommateurs pour une meilleure sécurité alimentaire, un meilleur environnement et une meilleure qualité de produits. La pression tant interne qu’externe pour la réforme de la PAC a conduit l’UE à opter pour un budget agricole plafonné pour les années à venir et à adopter progressivement un système de découplage dans lequel les aides aux agriculteurs sont déconnectées de la production et des surfaces cultivées. Une maîtrise de dépense de la PAC permet à l’UE de dégager des ressources pour investir dans d’autres domaines tels que la recherche et le développement (R&D) et l’éducation, afin de combler le retard important accumulé par rapport aux Etats-Unis et de créer de bonnes conditions nécessaires à la croissance future de l’économie européenne.
L’application progressive de la PAC aux nouveaux pays membres doit être gérée pour minimiser le risque d’une allocation inefficace de ressources dans ces pays, en favorisant la modernisation et l’amélioration de la qualité des produits. Sachant que ces pays obtiennent des gains nets grâce en partie à la création de commerce au sein de l’UE et en partie aux aides agricoles, au détriment des agriculteurs des pays de l’UE à 15 et de ceux du reste du monde, de fortes tensions politiques sont à prévoir tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’UE. D’autant plus qu’à plus long terme, l’agriculture des PECO peut devenir plus concurrentielle et produire davantage.
Références :
Dai M. (2004), « La politique agricole commune en Europe : vers la libéralisation et le développement durable », dans M.Dévoluy (ed.), Politiques économiques européennes, Éditions du Seuil, chapitre 7.
Duboz M.-L. (2002), « Les conséquences agricoles d’un élargissement sélectif de l’Union européenne », Economie Internationale 91, p. 57-71.
Mahé J. P. et Ortalo-Magné F. (1999), “Five proposals for a European model of the countryside”, Economic Policy vol. 28, pp. 89-126.
Nieddu M. (2002), « La multifonctionnalité agricole entre marchés et externalités », Economie Appliquée, tome LV, n°1, pp. 105- 132.
[1] Voir M. Nieddu (2002), « La multifonctionnalité agricole entre marchés et externalités », Économie Appliquée, tome LV, n°1, pp. 105-132.
[2] OCDE (2002), “Agricultural Policies in OECD Countries : Monitoring and Evaluation 2002”, Paris.
[3] Dont les pays membres actuels sont : Afrique du Sud, Argentine, Australie, Bolivie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Fidji, Guatemala, Indonésie, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Thaïlande, Uruguay. La Hongrie était un ancien membre.
[4] Voir Beard et Swinbank (2001), « Decoupled payments to facilitate CAP reform », Food Policy 26, p. 121-145.
[5] Voir Duboz M.-L. (2002).
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