Processus de convergence dans les pays d’Europe centrale et orientale : quels délais ?

Alexandre Sokic, Pôle Leonard de Vinci, Paris École supérieure du commerce extérieur

Les processus de convergence réelle et nominale en cours actuellement dans les nouveaux entrants de l’UE issus des PECO constituent des priorités pour l’UE. La formulation d’hypothèses de perspectives de croissance comparées permet d’évaluer les délais de rattrapage des niveaux de vie occidentaux pour chacun de ces pays. Les délais en jeu sont variables mais pourraient se mesurer en décennies dans certains cas. En revanche, le calendrier d’adoption de la monnaie unique européenne, qui pourrait être très bref, soulève la question de l’euroisation unilatérale.

Mots-clefs : convergence des économies européennes, MCE II, Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO).

Citer cet article

Alexandre Sokic « Processus de convergence dans les pays d’Europe centrale et orientale : quels délais ? », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 14, 19 - 24, Eté 2006.

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Le dernier élargissement de l’Union Européenne a permis l’adhésion de huit pays d’Europe Centrale et Orientale et des îles méditerranéennes de Malte et Chypre. Il a mis un terme à des décennies de séparation et a représenté une opportunité unique d’étendre l’intégration européenne vers l’est. Cet élargissement est le plus important et le plus ambitieux dans l’histoire de l’UE. Il est le plus important parce que l’arrivée de ces pays a fait passer le nombre de membres de 15 à 25 et a augmenté la population totale de l’UE à plus de 450 millions d’habitants. Il est le plus ambitieux parce que ces dix nouveaux membres ont un niveau de vie très inférieur à celui de la moyenne de l’UE. L’une des premières priorités de l’UE élargie est de faire s’élever le niveau de vie de ces pays le plus rapidement possible vers ceux des autres pays de l’UE.

Le problème des écarts importants de niveau de vie entre les anciens et les nouveaux membres fait naître de nombreuses craintes. Il y a toujours eu des craintes parmi les 15 anciens pays de l’UE au sujet d’une immigration accrue en provenance de pays à coûts salariaux plus faibles ou de délocalisations d’activités industrielles vers les PECO. Chez les nouveaux membres les populations sont inquiètes des capacités de leurs pays à résister à la compétition économique avec le reste de l’UE.

Une des priorités de l’Union après l’élargissement est de réduire l’écart en termes de niveaux de vie entre les anciens et les nouveaux membres. Cet écart peut être mesuré par les différences entre les Produits Intérieurs Bruts (PIB) par habitant dans les 15 anciens membres de l’UE et les nouveaux venus. Le processus de rattrapage du PIB par habitant représente le « processus de convergence réelle ». Toutefois, les nouveaux membres ne doivent pas faire face au seul problème de la convergence réelle. En rejoignant l’UE ils se sont engagés à adopter à terme l’euro comme leur monnaie unique. Cela signifie que les dix nouveaux pays membres devront rejoindre l’Union Économique et Monétaire. Cette échéance renvoie à la question de la « convergence nominale ».

1. Délais de convergence réelle pour les PECO

Le PIB par habitant est un indicateur de la production et de la dépense totale d’un pays, et il constitue ainsi une manière de mesurer et de comparer le degré de développement économique de différents pays. Le niveau du PIB par habitant moyen (évalué en parité de pouvoir d’achat) dans les huit nouveaux venus issus des PECO est actuellement inférieur de moitié à celui des 15 anciens pays membres de l’UE. En ayant recours aux statistiques produites par Eurostat il est assez aisé de construire un aperçu clair des disparités de PIB par habitant entre les huit membres issus des PECO et la moyenne des 15 anciens membres de l’UE (voir la figure 1). Il faut souligner que lors de ses calculs Eurostat emploie la méthode des standards de pouvoir d’achat de façon à tenir compte des différences de niveau général des prix qui ne sont pas reflétées dans les taux de change.

Figure 1 : Disparités de PIB par habitant entre les huit nouveaux membres des PECO en 2005

Source : Eurostat (2005)

La figure 1 montre les disparités de PIB par habitant parmi les huit nouveaux membres issus des PECO. On exprime le PIB par habitant de chaque pays en pourcentage du PIB par habitant moyen des 15 anciens membres de l’UE (ci-après UE15). On constate que les disparités sont grandes même parmi les nouveaux membres : en 2004 le PIB par habitant allait de 39 % de la moyenne de l’UE15 dans le cas de la Lettonie à 72 % de la moyenne de l’UE15 pour la Slovénie. S’agissant du PIB par habitant de l’Allemagne, il se situe juste sur la moyenne de l’UE15, alors que le PIB par habitant du Luxembourg représente 205 % de la moyenne de l’UE15.

La figure 1 montre la situation des disparités à un moment précis, mais il serait intéressant de pouvoir disposer d’une perspective dynamique. Il faudrait ainsi calculer le temps nécessaire à ces pays pour rattraper le niveau du PIB par habitant moyen de l’UE15. Pour ce faire quelques hypothèses concernant les perspectives de croissance comparées du PIB et de la population de ces pays sont nécessaires.

On suppose que la population reste constante dans l’ensemble des pays européens de sorte que la croissance du PIB par habitant n’est déterminée que par la croissance du PIB total dans chaque pays. En ce qui concerne les perspectives de croissance comparées des pays des PECO et de l’UE 15 on envisage deux scenarii alternatifs. Le premier scenario consiste à supposer un rythme de croissance constant de 4,5 % par an pour le PIB des pays des PECO (gE = 4,5 %) et une croissance nulle pour les pays de l’UE15 (gW = 0 %). Un tel scenario peut être envisagé comme cadre de référence permettant d’évaluer le délai nécessaire aux pays des PECO pour atteindre le niveau de vie moyen de l’UE15 de 2004. Le deuxième scenario consiste à supposer un rythme constant de croissance de 2 % par an dans les pays de l’UE15 (gW = 2 %) et un rythme constant de 5 % par an dans les pays des PECO (gE = 5 %).

Ces scenarii posés, il est possible de calculer les délais nécessaires à chacun des pays des PECO pour atteindre le niveau du PIB par habitant de l’UE15 à partir de 2004, c’est-à-dire le délai du processus de convergence réelle. Les résultats de ces calculs sont représentés sur la figure 2.

Figure 2 : Délai nécessaire pour rattraper le PIB par habitant moyen de l’UE15 à compter de 2004 (en années)

Source : calculs de l’auteur

Les résultats des calculs montrent que le processus de convergence réelle peut être un processus très long. Les délais en question pourraient se situer entre plus de 32 ans dans le cas de la Lettonie dans l’hypothèse de croissance comparée la moins favorable jusqu’à 8 ans pour la Slovénie dans l’hypothèse la plus favorable. Les perspectives de convergence réelle paraissent ainsi beaucoup plus longues pour la Lettonie ou la Pologne que pour la Slovénie ou la République Tchèque par exemple.

En outre, il faut souligner que ces délais ont été calculés sous l’hypothèse très optimiste d’un rythme constant de croissance relativement forte pendant toute la période de rattrapage. Cela pourrait signifier que les délais effectifs pourraient être plus longs encore. Les tendances récentes de croissance montrent des taux de croissance soutenue de plus de 6 % par an sur les trois dernières années pour la Lettonie et des taux situés entre 2,5 et 3,8 % dans le cas de la Slovénie. De plus amples investigations sur les perspectives de croissance comparées pourraient être menées pour préciser les délais des processus de convergence réelle dans les nouveaux membres issus des PECO.

Le processus de convergence réelle sera assurément un processus de longue haleine pour les nouveaux membres issus des PECO. Toutefois, les perspectives de rattrapage économique concernant les quatre pays candidats actuels à l’accession à l’UE sont beaucoup plus longues. Ces quatre pays sont, d’une part, la Bulgarie et la Roumanie qui devraient probablement rejoindre l’UE dès le 1 er janvier 2007, et d’autre part la Croatie et la Turquie dont les négociations d’adhésion ont débuté en octobre 2005. En ayant recours à la même méthodologie que celle utilisée pour la construction de la figure 1, la situation actuelle des PIB par habitant de ces quatre pays candidats peut être représentée sur la figure 3.

Figure 3 : Disparités de PIB par habitant parmi les 4 pays candidats en 2004 (UE15=100)

Source : Eurostat (2005)

Figure 4 : Délai nécessaire pour atteindre le PIB par habitant moyen de l’UE15 à compter de 2004 (en années)

Source : calculs de l’auteur

Comme précédemment en utilisant les mêmes scenarii de perspectives de croissance comparées, il est possible de calculer les délais de convergence réelle associée à ces pays. Les résultats des calculs peuvent être représentés sur la figure 4.

Les résultats montrent que le processus de convergence réelle concernant ces pays sera long. Les délais pourraient se situer entre près de 46 ans dans le cas de la Turquie dans l’hypothèse de croissance la moins favorable jusqu’à 20 ans pour la Croatie dans l’hypothèse de croissance la plus favorable. Il faut toujours souligner que de tels délais ont été calculés sous l’hypothèse très optimiste d’un rythme de croissance relativement forte soutenue pendant toute la période de convergence considérée ici. En l’occurrence il s’agit d’envisager une croissance relativement forte soutenue de manière ininterrompue pendant plus de trois ou quatre décennies.

On comprend que les délais effectifs pourraient être très probablement beaucoup plus longs que ceux présentés sur la figure 4.

2. Calendrier d’adoption de l’euro

Parmi les conditions d’accession négociées entre l’UE et les nouveaux entrants figure l’engagement de ces derniers d’adopter l’euro et d’accepter les règles de fonctionnement de l’UEM. Cependant, le processus consistant à rejoindre la zone euro n’est pas automatique et aucun calendrier n’a été fixé. Comme cela a été le cas avec les autres membres plus anciens, chacun rejoindra la zone euro selon son propre calendrier. Aucun pays n’a essayé de négocier une clause d’opting out à l’instar du Royaume-Uni ou du Danemark. La question ne consiste donc pas à savoir si les nouveaux entrants issus des PECO adopteront ou non l’euro mais plutôt quand et comment ils le feront.

La législation de l’UE définit clairement la voie menant à l’adoption de l’euro en tant que seule monnaie à cours légal selon un cheminement institutionnel en trois étapes. La première étape qui est formée par l’adhésion à l’UE a été franchie en mai 2004. La deuxième étape consiste pour le pays membre à participer au nouveau Mécanisme de Change Européen (MCE II) qui implique la fixation d’une parité centrale de change entre sa monnaie et l’euro (avec marges de fluctuations) pendant au moins deux ans. La troisième étape débutera lorsque, après deux ans de participation au MCE II sans tensions, le pays membre aura satisfaits les critères de convergence nominale. En cas de succès, le pays membre sera alors autorisé à adopter l’euro en tant que monnaie unique à cours légal.

Les critères de convergence nominale sont les fameux critères de Maastricht que tous les membres actuels de la zone euro ont dû respecter avant leur entrée dans l’UEM. Ces critères font référence à une faible inflation, à des taux d’intérêt à long terme bas, et à une discipline financière. Il est à noter que chaque membre de l’UEM doit toujours continuer à satisfaire ces critères en application des règles du Pacte de Stabilité et de Croissance. Récemment les deux plus grands pays de l’UEM, l’Allemagne et la France, ont montré des difficultés à satisfaire ces critères.

Chacun des nouveaux pays membres a élaboré un cadre de politique macroéconomique à moyen terme sur la base de sa propre appréciation de la désirabilité d’une entrée rapprochée dans la zone euro. L’Estonie, la Lituanie et la Slovénie, qui ont rejoint le MCE II (deuxième étape) dès le deuxième mois suivant leur adhésion à l’UE, pourraient adopter l’euro dès l’année 2007. La Lettonie a rejoint le MCE II en mai 2005 et pourrait adopter l’euro en 2009. La Slovaquie s’est engagée à une adoption rapprochée de l’euro avant 2010. Les trois pays restants d’Europe Centrale, la République Tchèque, la Hongrie et la Pologne, ne devraient pas adopter l’euro avant 2010 du fait de la longueur probable de leur processus de convergence nominale.

Néanmoins, un certain type de processus de convergence nominale très bref pourrait constituer une alternative au long cheminement institutionnel à trois étapes inscrit dans le traité. Tous ces pays pourraient adopter l’euro à une échéance très rapprochée sans pour autant se soumettre à un processus de contrôle de la part des institutions de l’UE. Il s’agit du débat de l’euroisation unilatérale qui est apparu juste quelques années avant le dernier élargissement au sein de certains pays des PECO.

Ce type d’euroisation découle de la décision unilatérale prise par un pays souverain d’abandonner sa monnaie nationale en faveur de l’adoption de l’euro en tant que seule monnaie à cours légal, mais sans rejoindre l’UEM. D’un point de vue macroéconomique une condition nécessaire et suffisante pour réussir une euroisation unilatérale est de disposer d’un niveau de réserves de change officielles suffisant pour assurer le remplacement de la monnaie nationale.

La question de l’euroisation unilatérale n’est pas une question théorique. En effet, un pays européen ni membre de l’UE ni candidat officiel à l’adhésion à l’UE, le Monténégro, a réalisé avec succès une euroisation unilatérale de son économie en 2002. Le Monténégro a mis en place cette euroisation en toute indépendance sans aucune négociation ni obligation de la part de l’UE. Le Monténégro a donc l’euro comme seule monnaie nationale sans être membre de l’UEM. L’euroisation unilatérale est un processus totalement distinct de celui de l’adhésion à l’UEM.

L’euroisation unilatérale comporte des avantages mais aussi des inconvénients (voir par exemple BCE (2004) ou Levasseur (2004)). D’un point de vue technique la Slovénie et l’Estonie seraient actuellement en mesure de la réaliser également. Cependant, les représentants officiels de l’UE n’apprécient pas une telle approche et mettent en avant l’obligation de satisfaire aux mêmes conditions d’entrée que les autres membres actuels de l’UEM. Il s’agit du « principe d’égal traitement » (BCE, 2003). Le débat demeure toujours ouvert.

Conclusion

Cet article souligne les questions des processus de convergences réelle et nominale qui sont actuellement en œuvre dans les nouveaux membres de l’UE issus des PECO. La question de la convergence réelle est le sujet d’intérêt majeur du dernier élargissement et représente véritablement une des principales priorités actuelles de l’UE. Cet article montre qu’il pourrait s’agir d’un processus de longue haleine même dans les conditions de croissance soutenue les plus optimistes. Selon ces hypothèses le délai de convergence réelle devrait dépasser une vingtaine d’années pour le nouvel entrant le plus pauvre qu’est le pays balte de la Lettonie.

Si l’on porte l’attention vers les actuels pays candidats à l’adhésion à l’UE que sont la Roumanie et la Bulgarie (dont l’adhésion est prévue pour début 2007 ou début 2008) d’une part, et la Turquie et la Croatie d’autre part, les délais de rattrapage pourraient être beaucoup plus longs encore. Il faudrait près de trois décennies à la Bulgarie ou la Turquie pour rattraper le niveau actuel du PIB par habitant moyen de l’UE15 sous des conditions très favorables de perspectives de croissance comparées.

Le processus de convergence nominale constitue la troisième phase du cheminement en trois étapes vers l’adoption de l’euro conformément à la législation de l’UE concernant l’UEM. Pour chacun des nouveaux membres issus des PECO ce processus devrait durer au moins deux ans dans les meilleures conditions. On attend de la convergence nominale qu’elle stimule le processus de convergence réelle. Il s’agit du principe sous-jacent au Pacte de Stabilité et de Croissance : les critères de convergence nominale ont pour but d’assurer les fondements d’une croissance économique saine et forte. Néanmoins, certains pays comme la Pologne, la Hongrie ou la République Tchèque ne sont pas à l’aise avec les critères de discipline budgétaire parce que ces derniers pourraient être de nature à contraindre leur besoin d’investissement en infrastructures. C’est la raison pour laquelle le processus de convergence nominale pourrait les amener à adopter l’euro au-delà de 2010.

L’euroisation unilatérale pourrait se présenter comme une voie plus courte vers l’adoption de l’euro comme le suggère l’expérience récente et couronnée de succès du Monténégro. Certains économistes recommandent à ces pays de ne pas passer par les étapes obligatoires et d’adopter l’euro sans respecter le cheminement institutionnel. Toutefois les représentants officiels de l’UE ont déjà mis en garde les pays des PECO sur le fait qu’une euroisation unilatérale serait contraire aux raisonnements économiques qui fondent l’UEM dans le traité. Par conséquent, l’euroisation unilatérale ne devrait pas pouvoir constituer un moyen de contourner les critères de la convergence nominale.

Références bibliographiques

Eurostat (2005), “GDP per capita in 2004”, Eurostat News Release, no. 75/2005, Eurostat.

BCE (2004), “Official dollarisation/euroisation : motives, features and policy implications of current cases”, Occasional Paper Series, no.11, Banque Centrale Européenne.

BCE (2003), Policy position of the governing Council of the European Central Bank on exchange rate issues relating to the acceding countries”, 18 décembre, disponible sur http// :www.ecb.int.

Dévoluy M., Rugraff E. (2004), “Trois enjeux majeurs de l’élargissement”, Bulletin de l’Opee, n° 10, Eté 2004.

Levasseur S. (2004), “Why not euroisation”, Revue de l’OFCE, avril, numéro spécial, pp. 121-156.

Rugraff E. (2004), « La politique européenne de l’élargissement et ses effets », in Dévoluy M. (dir.) Les politiques économiques européennes, Points Seuil (2004).

Droits et Permissions

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