La zone euro face à la crise : premières leçons
Michel Dévoluy, Université de Strasbourg (BETA).
L’Europe est confrontée au cas d’école qu’on pouvait redouter. Est-elle bien armée pour gérer une crise économique majeure ? La principale réponse passe par un bon pilotage macroéconomique (le policy mix). Or la zone euro est ici au pied du mur avec, d’un côté, une politique monétaire unique et, de l’autre, des politiques budgétaires nationales encadrés par le pacte de stabilité et de croissance. Cette architecture est-elle efficace ? Presque deux ans après le début de crise nous pouvons tirer quelques leçons.
Mots-clefs : budget de l’Union européenne, crise de dette souveraine, Pacte de stabilité et de croissance (PSC), politique budgétaire.
Citer cet article
Michel Dévoluy « La zone euro face à la crise : premières leçons », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 20, 37 - 45, Été 2009.
Toute l’économie mondiale est désormais durement frappée par la crise. Celle-ci a débuté par la sphère financière pour se propager ensuite à l’économie réelle. Précisément, tout va s’enclenche en juillet 2007 lorsque, aux États-Unis, la Bear Stearns annonce la faillite de deux fonds spéculatifs (Hedge Funds) spécialisés dans les dérivés de crédit. Le monde découvre alors les subprimes. La crise de liquidités va se propager et les faillites bancaires se multiplieront pour s’étendre à l’ensemble du monde occidental [1].
Les dangers sont assez vite identifiés : Il faut à la fois stabiliser le système financier, maintenir la confiance des acteurs économiques dans les banques et éviter la contagion de la sphère réelle. Ces craintes étaient hélas justifiées ? La crise qui est d’abord apparue comme un problème de liquidités provenant de mauvaises gestions bancaires et d’un recours excessif à la titrisation a, par la suite, atteint l’économie réelle. Les premières réactions sont naturellement venues des autorités monétaires nationales. Puis des plans de relance, eux aussi nationaux, ont été mis en place.
La zone euro est ici dans une situation tout à fait singulière avec une banque centrale unique et des politiques budgétaires nationales. Un véritable policy mix est donc impossible. L’objet de cet article est d’analyser le pilotage macroéconomique de la zone euro face à la crise. Nous commencerons par une rapide présentation du tableau de bord de l’économie européenne, puis nous étudierons réactions des politiques monétaires et budgétaires. Nous pourrons ainsi, au fur et à mesure, tirer quelques enseignements sur l’Europe économique et politique.
Tableau de bord de la zone euro
En Europe, la récession est là. Le chômage augmente. Les comptes des administrations publiques se détériorent. D’une manière générale, les prévisions de la Commission concernant l’ensemble de l’Union (UE-27) [2] se sont assombries depuis les derniers mois. Les chiffres du printemps 2009 attestent une nouvelle détérioration. Et ceci est encore plus vrai pour la zone euro.
En 2009, le PIB mondial devrait baisser de −1,5 %. Aux États-Unis, le PIB variera de −2,6 % en 2009, après une année 2008 également négative avec −1.6 %. Pour l’UE-27, la chute sera de −4 % alors que la croissance était encore positive en 2008 avec un taux de variation du PIB de + 0,9. %.
L’évolution taux de chômage dans l’UE-27 en 2008, 2009 et 2010 suit, avec un temps de latence conforme à l’analyse économique, la dégradation de l’activité productive. Il passera de 7 % à 9,4 % pour atteindre 10,9 %.
L’inflation, toujours sur la même période, devient inexistante puisque les chiffres sont respectivement pour ces trois années de 3,7 %, 0,9 % et 1,3 %.
Par ailleurs, la baisse massive de l’activité réduit mécaniquement les recettes fiscales alors que, parallèlement, les plans de relance augmentent les dépenses. Du coup, les chiffres des finances publiques se dégradent fortement et dépassent les valeurs de référence fixées par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC). En 2008, 2009 et 2010 le pourcentage du déficit public par rapport au PNB de l’UE-27 devrait suivre la trajectoire suivante : −2,3 %, −6 % et −7,3 %. Pour la dette, toujours en pourcentage du PNB, on aura : 61,5 %, 72,6 % et 79,4 %.
Le tableau ci-dessous synthétise la situation de la zone euro entre 2007 et 2010. Tous ces chiffres sont éloquents et confirment que cet espace économique est particulièrement touché.
Tableau : L’évolution de l’économie de la zone euro.
2007 | 2008 | 2009 | 2010 | |
PNB (évolution en %) | 2,7 | 0,8 | −4,0 | −0,1 |
Taux de Chômage | 7,5 | 7,5 | 9,9 | 11,5 |
Taux d’inflation | 2,1 | 3,3 | 0,4 | 1,2 |
Déficit public ( % du PNB) | −0,6 | −1,9 | −5,3 | −6,6 |
Dette publique ( % du PNB) | 66,0 | 69,3 | 77,7 | 93,8 |
Sources : Prévisions économiques, Printemps 2009, Commission européenne.
A côté des résultats quantitatifs, l’indicateur de confiance dans l’UE surligne la perception collective de la récession. En effet cet indicateur vient d’atteindre, en janvier 2009 son plus bas niveau depuis sa création en 1985, c’est à dire 60,3 pour l’UE-27 et 64,6 pour la zone euro.
La stratégie de la BCE
Depuis l’été 2007, les mesures prises par les politiques monétaires suivent la chronologie de la crise. Il fallait d’abord assurer la liquidité et éviter les faillites pour, ensuite, combattre la récession. Mais il convient également d’éclairer les décisions face à la crise à la lumière des objectifs et du statut des différentes banques centrales. De ce point de vue, il est intéressant de marquer les différences entre la Fed aux États-Unis et la BCE dans la zone euro.
La Fed doit surveiller trois variables : l’inflation, les taux d’intérêt à long terme et le niveau de l’activité économique. De plus, elle assure la supervision du système bancaire et elle assume la fonction de prêteur en dernier ressort. La Fed est indépendante, mais elle doit continuellement rendre compte devant le Congrès. Son statut l’oblige à être en résonance avec les besoins exprimés par la société américaine en matière de politique économique.
Conformément au traité de Maastricht (art. 105 TCE), la BCE a comme objectif premier la stabilité des prix. Si cet objectif est atteint, elle peut alors soutenir les politiques de l’UE. En Europe, la supervision des banques est formellement du ressort de chaque État membre et la BCE n’a pas explicitement la mission de prêteur en dernier ressort. Enfin, l’indépendance de la BCE est très marquée. D’ailleurs, elle veille jalousement à ne pas recevoir de pressions politiques afin de ne pas perturber la sérénité de son rôle de gardien de la stabilité des prix. Notons que c’est la BCE, toute seule, qui a défini la stabilité des prix comme étant une situation ou l’inflation ne dépasse pas 2 % [3].
Ces différences entre les missions et les statuts de la Fed et de la BCE expliquent bien deux choses. D’une part, la réactivité de la Fed face au ralentissement économique par rapport à l’attentisme de la BCE. D’autre part, la forte implication de chaque État membre de l’UE dans le plan de sauvetage de ses propres banques alors que, aux États-Unis, l’État fédéral et la Fed sont directement concernés.
Plus de liquidités
Face à la crise financière, l’apport de la BCE en liquidités supplémentaires a été massif. En comparaison avec la situation d’avant crise, les chiffres ont plus que doublé. Depuis août 2007, l’encours est passé de 450 milliards d’euros à environ 1000 milliards aujourd’hui [4].
Pour augmenter la liquidité bancaire, une banque centrale peut agir dans plusieurs directions. Le moyen le plus connu est la baisse des taux d’intérêt directeurs. Dans ce cas, elle favorise l’offre de crédit, ce qui a un impact sur l’activité économique et, en général, sur l’inflation. Sur ce dernier point, nous connaissons la défiance absolue de la BCE en matière de hausse des prix.
Lorsque la priorité est de faciliter la gestion des trésoreries des banques, il est possible de fournir plus de liquidités, sans pour autant manipuler les taux d’intérêt directeurs. Dans ce cas, une banque centrale peut avoir recours à plusieurs techniques :
-* augmenter le volume des titres acceptés au refinancement,
-* allonger la maturité des facilités accordées aux intermédiaires financiers,
-* élargir la gamme des contreparties (les intermédiaires financiers) éligibles au refinancement,
-* étendre le périmètre des garanties (les collatéraux) admissibles,
-* passer des accords dits de swaps entre banques centrales pour obtenir plus de liquidités en devises.
Aussi longtemps que la BCE a perçu l’existence de pressions inflationnistes dans la zone euro, elle a eu recours à ces types de mesures qui évitent la baisse des taux. On peut retrouver les détails des décisions dans le chapitre « sur les opérations et les activités de banque centrale » des rapports annuels de la BCE pour les années 2007 et 2008. Nous les résumons ici dans un encadré.
Les principales mesures prises par la BCE pour la gestion de la crise de liquidités (en dehors des décisions sur les taux d’intérêt)
On distinguera les mesures de nature quantitative (qui apportent plus de liquidités) des décisions qualitatives (qui élargissent les garanties et les contreparties éligibles).
a) Les mesures augmentant directement les liquidités :
-* La gestion des réserves obligatoires a été facilitée en avançant la fourniture des liquidités aux banques.
-* Des liquidités ont été fournies en quantités illimitées pour ce qui concerne les opérations particulières au jour le jour.
-* La durée des prêts accordés au système bancaire a été allongée grâce à des opérations supplémentaires de refinancement à plus long terme.
-* Les techniques d’adjudication ont été modifiées en octobre 2008. Pour les appels d’offre à taux fixe, la totalité des soumissions est désormais servie. (Notons qu’avant juin 2000 la BCE avait également un taux fixe, mais la quantité des liquidités fournies n’était pas illimitée. Entre temps, le taux proposé était un taux minimum.)
-* Le corridor constitué par les taux des facilités permanentes (facilités de dépôts et de prêts des intermédiaires financiers) a été réduit afin de faciliter la gestion de la trésorerie des banques.
-* Un dispositif temporaire d’échange réciproque de devises (accord de swap) avec la Fed puis avec la Banque nationale suisse a été mis en place afin que les banques européennes obtiennent des devises.
-* Par ailleurs, des apports de liquidités en euros ont été fournis par la BCE à certaines banques centrales de l’UE n’appartenant pas à la zone euro.
b) Les mesures d’élargissement des garanties et des contreparties éligibles :
-* La liste des titres des titres et des créances admis comme garanties a été élargie. Depuis le 22 octobre 2008 le seuil des qualités des titres est passé de A− à BBB−. Depuis le 14 novembre l’Eurosystème accepte les titres de créance négociables émis dans la zone euro et libellés en dollars, en livres sterling et en yens, à condition que l’émetteur soit établi dans l’espace économique européen (EEE).
-* Les obligations sécurisées (covered bonds) sont admises à partir du 4 juin 2009. Autre innovation, la Banque européenne d’investissement (BEI) devient à partir du 8 juillet 2009 une contrepartie.
La Fed a également pris diverses mesures majeures pour augmenter la liquidité bancaire. Ainsi a-t-elle, dès août 2007, étendu la maturité maximale de sa facilité d’emprunt permanente de 1 jour à 30 jours. Par la suite, d’autres mesures techniques ont été utilisées [5]. Mais la comparaison avec la BCE s’arrête là. Nous savons en effet que la Fed suit très attentivement l’économie réelle. Elle n’a donc pas hésité à très vite baisser les taux afin à la fois de prévenir les risques de faillites bancaires et de soutenir l’économie.
Baisse des taux
Alors que la Fed a, dès octobre 2007, diminué ces taux d’intérêt directeurs, la BCE a pris beaucoup plus de temps : elle a attendu octobre 2008. Comble de la rigueur, la BCE a même encore augmenté ses taux le 9 juillet 2008, c’est-à-dire pratiquement un an après le déclenchement de la crise, en passant son taux directeur de 4 % à 4,25 %. Et, pour couronner le tout, ce niveau élevé de taux a été maintenu jusqu’au 8 octobre. Il est vrai que, depuis cette date, le taux directeur de la BCE a baissé de façon significative, à travers 7 baisses successives, pour atteindre 1 % le 7 mai 2009. La chute a donc été de 325 points de base en 6 mois. L’amplitude de la baisse est plus importante encore aux États-Unis puisque la Fed a ramené son taux de 5,25 % en août 2007 à 0/0,25 % en décembre 2008. Les tableaux ci-après présentent la chronologie des décisions concernant les taux aux États-Unis et dans la zone euro.
L’attentisme de la BCE s’explique par ses analyses sur l’évolution des prix. Ce n’est qu’en octobre 2008 qu’elle a commencé à être persuadée de la baisse des pressions inflationnistes.
Bien sûr, la BCE remplit son mandat. Mais son extrême prudence n’a pas été favorable à une grande réactivité face à la crise. Elle a clairement sa part de responsabilité dans cette situation dans la mesure où elle s’est fixée l’objectif d’une inflation « inférieure mais proche de 2 % ». S’arque bouter sur ce chiffre totémique a ses limites lors d’une crise majeure. Cela peut retarder la reprise ou, pire, l’entraver.
Pour le moment, nous ne sommes pas entrés dans une spirale déflationniste qui serait l’enregistrement d’une variation négative des prix sur une période assez longue − un an − avec, de plus, l’anticipation d’une baisse durable des prix. Cependant, nous vivons une désinflation, c’est-à-dire un ralentissement de l’inflation ou une baisse ponctuelle du niveau général des prix. La déflation est redoutable, elle peut mener à une catastrophe économique. La désinflation paraît, au contraire, vertueuse. Mais entrer en désinflation, comme c’est le cas pour la zone euro, en partant d’un taux d’inflation déjà très bas (il était d’environ 3 % en 2008) ne peut pas s’analyser comme une victoire. C’est plutôt de l’acharnement. En politique monétaire, le mieux peut être l’ennemi du bien. Heureusement, un glissement vers la déflation est encore improbable au regard de la situation actuelle..
L’évolution des taux de la Fed
18/09/2007 : 4,75
31/10/2007 :4,25
22/01/2008 :3,50
30/01/2008 :3,00
18/03/2008 :2,25
30/04/2008 :2,00
08/10/2008 :1,50
28/10/2008 :1,00
16/12/2008 :0/0,25*
*Le taux est ramené dans une marge de fluctuation allant de 0 à 0,25 %.
Source : FED.
L’évolution des taux de la BCE
08/03/2007 : 3,75
06/06/2007 : 4,00
03/07/2008 : 4,25
08/10/2008 : 3,75
06/11/2008 : 3,25
04/12/2008 : 2,50
15/01/2009 :2,00
05/03/2009 : 1,50
02/04/2009 : 1,25
07/05/2009 : 1,00
Source : BCE
Le contrôle prudentiel
La BCE n’est pas directement responsable du contrôle prudentiel qui assure la stabilité du système financier. Il relève, avant tout, de chaque État membre. En dehors de la BCE, l’UE a néanmoins pris des initiatives afin de coordonner les décisions des États. Mais, comme toujours, dans le marché unique, toutes les mesures prises par les États membres devront respecter les conditions d’une concurrence équitable et tenir compte de l’état des finances publiques. Nous retiendrons les décisions suivantes :
-* Le Conseil Ecofin a demandé, le 7 octobre 2008, de relever à 50 000 euros le seuil minimum des dépôts des particuliers.
-* L’Eurogroupe, le 12 octobre, a défini un plan pour renforcer les fonds propres des banques. Celui-ci propose aux autorités nationales de souscrire des titres émis par les banques fragilisées ou, si nécessaire, de participer directement au capital de ces banques.
-* Le Conseil Ecofin, en février 2009, a décidé que des mesures de gestion des actifs toxiques pourraient compléter les dispositions précédentes.
Dans une approche de plus long terme, la commission européenne a présenté, le 27 mai 2009, des propositions pour renforcer la surveillance des banques [6]. L’idée principale est de mettre en place « un comité européen du risque systémique ». L’objectif final est de remplacer les supervisions nationales par un « système européen de superviseurs financiers ».
La crise a également entraîné des souhaits de coopération au niveau mondial Le G20, réuni à Londres le 2 avril 2009, s’est également penché sur les problèmes de stabilité financière. Ses décisions se sont concentrées sur une augmentation de 750 milliards de dollars des ressources pour le FMI. Le G20 a également recommandé un effort collectif pour le soutien coordonné de l’économie réelle, ce qui nous conduit à observer les stratégies budgétaires européennes.
Les stratégies budgétaires
L’urgence était le traitement de la crise financière. Mais cela n’a pas suffit pour éviter la contagion de la sphère réelle. Il faut ici ajouter que le choc financier a incité les banques à réduire leurs offres de crédit, ce qui a amplifié la récession [7]. Le recours aux politiques budgétaires s’est naturellement imposé pour soutenir l’activité économique.
De fait, à partir du second semestre 2008, les politiques budgétaires nationales vont être systématiquement mobilisées à travers le monde. Les plans de relance sont souvent adoptés dans un contexte où les finances publiques sont déjà fragiles. Cette question est particulièrement aiguë dans la zone euro qui est soumise au contrôle permanent du PSC.
La variété des plans de relance
Les plans de relance sont différents selon les pays concernés. Il y a pour cela trois raisons. D’abord, chaque économie réagit en fonction de l’amplitude et du moment du choc. Ensuite, les situations des finances publiques sont contrastées. Enfin, les approches politiques sont différentes.
Le 23 novembre 2008, le président Obama a annoncé un plan gigantesque de 1000 milliards de dollars qu’il s’engage à mettre en œuvre dès son investiture le 20 janvier 2009. L’Europe a réagi plus tardivement du fait du décalage dans sa perception de la crise. Par ailleurs, l’Europe est confrontée aux difficultés liées à la complexité de son architecture. L’UE a son propre budget, mais il est très faible (environ 1 % du PNB de l’Union) et tout déficit est impossible. Parallèlement, les États membres ont chacun un budget important (en moyenne 45 % de leur PNB) qui peut être en déficit, mais qui est encadré par le PSC.
Certains pays comme l’Espagne ou l’Italie ont programmé dès avril et mai 2008 des actions de soutien à l’économie. Il faut attendre le 26 novembre 2008 pour que la Commission propose, à son tour, un plan de relance européen. Celui-ci sera entériné par le Conseil européen des 11 et 12 décembre. Le plan européen mobilise 200 milliards d’euros, soit 1,5 % du PIB de l’UE. En réalité, les mesures envisagées reflètent parfaitement la dualité européenne. Les États s’engagent pour l’essentiel, soit 170 milliards, c’est-à-dire à hauteur de 1,2 % de leur PNB, tandis que les 30 milliards restant proviennent des fonds structurels européens et de la Banque européenne d’investissement (BEI). L’Union est donc présente mais, au final, ce sont les États qui disposent vraiment des clés de la relance.
L’essentiel des mesures relève donc des décisions nationales. Cependant, la Commission propose une « boite à outils » que les gouvernements peuvent utiliser. Les principales mesures suggérées sont les suivantes : l’aide aux chômeurs et aux ménages défavorisés, le financement d’infrastructures structurantes, la réduction des charges sur le travail, des baisses temporaires de la TVA sur les secteurs à forte intensité en main d’œuvre.
Même si chaque État gère totalement son propre plan de relance, une forme de coordination formelle des politiques est préservée au niveau de l’UE. En effet, le Conseil Ecofin du 10 mars 2009 a choisi d’approuver les politiques décidées par les divers États membres en estimant que les plans nationaux sont généralement bien ciblés. Toujours dans le but d’entretenir le processus de coordination, le Conseil européen des 19 et 20 mars a repris les analyses de l’Ecofin et considère que tout va dans le bon sens.
Au niveau mondial, le sommet du G20 d’avril 2009 a également donné un message fort sur la nécessité d’une réponse globale et coordonnée face à la crise. Le G20 encourage les plans de relance et insiste sur les risques des tentations protectionnistes. A cette occasion, le président de la commission José Manuel Barroso a souligné la démarche unitaire de l’UE et indiqué que l’effort fiscal de relance en Europe dépasse les 200 milliards prévus initialement. Désormais, les sommes impliquées dépassent 400 milliards d’euros devraient atteindre 500 milliards.
Le pacte de stabilité et de croissance
Reste l’épineuse question du PSC qui impose, en principe, le respect d’un déficit public inférieur à 3 % du PNB et d’une dette publique inférieure à 60 % du PNB. Cette règle est très difficile à suivre lorsque, d’un côté, les recettes diminuent puisque la crise économique entame les impôts et que, de l’autre côté, les dépenses augmentent à cause des plans de relance.
La Commission, gardienne de l’orthodoxie budgétaire, sait pertinemment que le plan de relance européen va se traduire, dans les budgets nationaux, par des dépassements des normes fixées par le pacte. Mais les circonstances sont exceptionnelles. D’ailleurs, de telles situations sont prévues dans les textes, ce qui a permis au commissaire Jaoquin Almunia de déclarer en présentant le plan européen : « Le PSC reste. Il n’est certainement pas mis entre parenthèses ; c’est la réponse prévue à des circonstances exceptionnelles et temporaires. » En effet, la réforme du PSC de 2005 [8] accentue la flexibilité du PSC, notamment en cas de crise économique. Mais les règles de base demeurent valables. En particulier, les finances publiques doivent s’inscrire dans une trajectoire soutenable sur le moyen terme. Pour la Commission, les plans nationaux devront donc présenter trois caractéristiques : être opportuns, ciblés et temporaires [9] .
La détérioration des comptes publics est impressionnante Il suffit de lire le tableau sur l’évolution des finances publiques dans la zone euro pour voir que les critères du PSC sont bousculés. Sur la période 2008-2010, comme le montre le tableau ci-après, aucun pays, mis à part Chypre, le Luxembourg et la Finlande ne respecte le PSC à la lettre. Concrètement, 13 pays sur 16 enfreignent sortent des normes.
Malgré ces dérives, tous les États membres ne sont pas dans une situation jugée alarmante par la Commission. De fait, l’UE a lancé officiellement, par une décision du Conseil du 27 avril 2009, des procédures pour déficit excessif contre seulement quatre États : la France, l’Espagne, l’Irlande et la Grèce. Selon l’UE, les finances de ces pays se sont trop dégradées du fait de la crise. Par conséquent, le Conseil propose, comme le demande le PSC, des mesures correctives. Les quatre États concernés devront réagir à ces recommandations pour le 27 octobre 2009. Pour ce qui concerne la correction des déficits, les États de l’UE accordent jusqu’en 2012 à la France et l’Espagne pour ramener leur déficit sous la limite en vigueur de 3 % du PNB. Il demande à la Grèce de revenir dès 2010 sous les 3 % et pour l’Irlande de le faire pour 2013.
Tableau 2 : Les finances publiques dans la zone euro.
États | Déficits publics ( % du PNB) | Dettes publiques( % du PNB) | ||||
Belgique | −1,2 | −4,5 | −6,1 | 89,6 | 95,7 | 100,9 |
Allemagne | −0,1 | −3,9 | −5,9 | 65,9 | 73,4 | 78,7 |
Irlande | −7,1 | −12,0 | −15,6 | 43,2 | 61,2 | 79,7 |
Grèce | −5,0 | −5,1 | −5,7 | 97,6 | 103,4 | 108,0 |
Espagne | −3,8 | −8,6 | −9,8 | 39,5 | 50,8 | 62,3 |
France | −3,4 | −6,6 | −7,0 | 68,0 | 79,7 | 86,0 |
Italie | −2,7 | −4,5 | −4,8 | 105,8 | 113,0 | 116,1 |
Chypre | 0,9 | −1,9 | −2,6 | 49,1 | 47,5 | 47,9 |
Luxembourg | 2,0 | 0,6 | 0,1 | 14,7 | 16,0 | 16,4 |
Malte | −4,7 | −3,6 | −3,2 | 64,1 | 67,0 | 68,9 |
Pays-Bas | 1,0 | −3,4 | −6,1 | 58,2 | 57,0 | 63,1 |
Autriche | −0,4 | −4,2 | −5,3 | 62,5 | 70,4 | 75,2 |
Portugal | −2,6 | −6,5 | −6,7 | 66,4 | 75,4 | 81,5 |
Slovénie | −0,9 | −5,5 | −6,5 | 22,8 | 29,3 | 34,9 |
Slovaquie | −2,2 | −4,7 | −5,4 | 27,6 | 32,2 | 36,3 |
Finlande | 4,2 | −0,8 | −2,9 | 33,4 | 39,7 | 45,7 |
Sources : Prévisions économiques, Printemps 2009, Commission européenne.
Des enseignements pour le budget de l’UE
Les plans de relance impliquent des sommes considérables et génèrent des déficits publics massifs. Dans ce contexte de crise aiguë, les 30 milliards annoncés par l’UE semblent un peu dérisoires. Ils proviennent, nous l’avons dit, des Fonds structurels européens et de la BEI. Comment augmenter cette somme alors que le budget européen reste faible et que tout déficit est interdit ? La réponse est dans la question qui a été jusqu’à présent tabou dans les cercles officiels européens. L’UE devrait s’engager dans des emprunts conduisant à la création d’une dette européenne. Naturellement tout cela serait en violation des traités. De plus, pour continuer d’être iconoclaste, on pourrait imaginer la monétisation de cette dette par la BCE. Mais là encore une telle situation est strictement impossible aujourd’hui.
Pourtant, il existe une ouverture. Elle provient, et c’est tout à fait inattendu, de la BCE. L’histoire se déroule en deux temps. Le 5 février 2009, lors de la conférence de Presse tenue traditionnelle par le président de la BCE Jean-Claude Trichet après la réunion du Conseil des gouverneurs, une question a été posée concernant la possibilité pour la BCE d’accepter des bons du trésor émis par l’UE. Avant la crise, une telle question aurait probablement paru incongrue et, pour tout dire, irrecevable. Mais il y eut une réponse. Bien sûr, Monsieur Trichet a indiqué que, à sa connaissance de tels bons n’étaient pas envisagés. D’ailleurs, interroge-t-il, qui serait l’émetteur, la Commission, plusieurs trésors publics nationaux associés ; ? Nous concluons de cet épisode que même s’il n’y a pas encore de solution, il est dorénavant possible d’aborder le sujet des emprunts de l’UE. Il faut en prendre acte.
Mais l’histoire continue. Le 7 mai 2009, toujours à l’occasion d’une conférence d’après réunion du Conseil de gouverneurs, Jean-Claude Trichet annonce que la BEI devient désormais une contrepartie de l’Eurosystème. La BEI pourra donc se refinancer auprès de la BCE. De plus, lors de la même conférence, M. Trichet a indiqué que l’Eurosystème acceptera de monétiser les obligations sécurisées (covered bonds). Ainsi, en admettant que la BEI émette une forme de bons européens ou des obligations sécurisées pour le compte de l’UE, on pourrait entrer sur la voie du refinancement monétaire de la dette d’une institution européenne. Bref, une solution est techniquement envisageable. Reste l’essentiel, c’est-à-dire la volonté politique.
Conclusion
La zone euro est mal armée pour affronter une crise. Ce diagnostic était connu. Sans gouvernement économique digne de ce nom, un policy mix est impossible.
La BCE a agi dans le cadre de ses missions, qu’elle interprète radicalement : maintenir la stabilité des prix, coûte que coûte. Elle l’a fait avec constance, en différant la baisse des taux directeurs, ce qui a ralenti le mouvement de reprise de l’économie réelle. Mais la BCE a su réagir rapidement face à la crise financière en fournissant massivement des liquidités grâce à des mesures pertinentes. Elle a même ouvert, sans le dire, des perspectives de refinancement d’une dette européenne en acceptant comme contrepartie la BEI.
Les États membres sont restés maître du jeu en matière de relances budgétaires. Néanmoins l’Union n’a pas été absente. Sa présence s’est exprimée sous trois formes : une participation symbolique de 30 milliards d’euros, une coordination molle à travers des suggestions sur les mesures à prendre pour soutenir l’économie et une application réaliste du PSC face aux dérapages des finances publiques. Mais tout cela n’incarne pas une politique puissante et lisible. Du point de vue des citoyens européens, les mesures budgétaires prises dans la zone euro traduisent beaucoup plus la réaffirmation de l’importance des États nations que la présence d’une Europe forte et protectrice.
Au total, la gestion européenne de la crise est parfaitement conforme aux traités européens, ce qui permet de révéler leurs limites. La BCE devrait élargir ses objectifs prioritaires au-delà de la seule stabilité des prix : il faut donc revoir son statut. Par ailleurs, un plan de relance administré par l’UE marquerait, enfin, le rôle protecteur de l’Europe. Ce choix impose un vrai budget européen, financé par un impôt payé directement par les citoyens. Ce budget, si nécessaire, devrait pouvoir être en déficit. Là encore une révision des traités s’impose. On retrouve ainsi le lancinant problème de l’intégration politique. La zone euro doit apprendre de la crise un enseignement essentiel : elle restera d’autant plus fragile qu’elle refuse de s’avancer vers une forme de fédéralisme. Pourtant, cette direction est vitale pour elle.
Sources
Rapport annuel de la BCE 2007
Rapport annuel de la BCE 2008
Bulletins mensuels de la BCE
Site internet de l’Union européenne (Direction des affaires économiques et financières)
Site internet de la BCE
[1] Il s’agit précisément de l’indice des prix à la consommation harmonisée (IPCH) qui doit être inférieur ou égal à 2 %.
[2] Ces grandeurs ressortent du bilan consolidé de l’Eurosystème où apparaissent à l’actif les créances sur les intermédiaires financiers. Ce chiffre tient compte de l’apport de liquidités en dollars et en francs suisses.
[3] Pour une analyse des causes de la crise et des premières réactions voir les articles du Bulletin 19, Hiver 2008, de l’Opee.
[4] Ces grandeurs ressortent du bilan consolidé de l’Eurosystème où apparaissent à l’actif les créances sur les intermédiaires financiers. Ce chiffre tient compte de l’apport de liquidités en dollars et en francs suisses.
[5] Voir par exemple les informations contenues dans la publication de la Banque de France « Documents et débats », N°2, février, 2009, pp. 5-8.
[6] Ces propositions se fondent sur le rapport d’un comité d’experts piloté par Jacques de Larosière, ancien directeur du FMI.
[7] Ce phénomène d’effet levier négatif est dénommé le deleveraging.
[8] Voir « De la souplesse pour renforcer le pacte de stabilité », Michel Dévoluy, Bulletin de l’Observatoire des politiques économiques en Europe, N° 14, printemps 2006.
[9] En anglais cela se traduit par la règle des trois « t » : timely, targeted and temporary.
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