L’élargissement à l’est et l’adoption de l’euro
Eric Rugraff, Université de Strasbourg (BETA)
En intégrant l’Union européenne (U.E.), les pays candidats à l’adhésion s’engagent à adopter l’euro. Une fois qu’ils feront partie de l’U.E., ils devront adhérer au nouveau Mécanisme de change européen (MCE II) : le maintien de leur taux de change dans une bande de fluctuation de +/- 15% vis-à-vis de l’euro pendant au moins deux ans conditionnera leur passage à l’euro. Dans la phase actuelle de pré-adhésion des pays de la première vague, se pose alors la question du choix d’un régime de change fixe ou flexible. Une réflexion menée à partir de la théorie des zones monétaires optimales permet d’éclairer le débat.
Mots-clefs : construction européenne, élargissement de l’UE, MCE II, Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO), Politique de change, Régime de change fixe, régime de change flexible.
Citer cet article
Eric Rugraff « L’élargissement à l’est et l’adoption de l’euro », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 5, 19 - 22, Hiver 2001.
Treize pays sont officiellement candidats à l’adhésion à l’Union Européenne (U.E.) : sept PECO (Pays d’Europe Centrale et Orientale), à savoir la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie, les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) et Chypre, Malte et la Turquie (pour cette dernière les conditions initiales au lancement des négociations ne sont pas encore réunies).
La Commission européenne a publié en juillet 1997 l’ « Agenda 2000 » désignan tles six premiers pays avec lesquels les négociations pouvaient être engagées,avec comme hypothèse que les premières adhésions pourraient intervenir au courant de l’année 2002. Le processus de négociation avec les six pays les plus avancés dans les réformes (Chypre, Estonie, Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovénie) a été ouvert formellement le 31 mars 1998 [1]. Les négociations sont conduites chapitre par chapitre, sur la base des 31 chapitres qui constituent l’acquis communautaire. Les premières adhésions pourraient intervenir, selon la Commission, à partir de fin 2002.
Les étapes à suivre pour adopter l’euro
Pour adhérer à l’U.E. ces pays doivent reprendre l’acquis communautaire. Mais L’adhésion signifie également à terme, même si une période transitoire peut être envisagée, l’adhésion à l’Union Economique et Monétaire (U.E.M.) et l’adoption de l’Euro. Le passage à l’Euro d’un pays candidat peut être résumé en deux étapes principales :
Avant son adhésion : le pays candidat doit reprendre l’acquis communautaire et mener des politiques favorisant la stabilité et la convergence économique (respect des critères de Maastricht). Dans le domaine financier, il doit en particulier organiser l’indépendance de sa banque centrale, libéraliser les mouvements de capitaux et créer un système bancaire stable et efficace. Dans cette première phase, le pays candidat est libre de retenir le système de change qu’il souhaite.
Une fois que le candidat sera devenu membre de l’U.E. : il n’est pas obligé d’adopter immédiatement l’euro. Par contre, en intégrant l’U.E. les nouveaux membres ne bénéficient plus de la possibilité offerte aux membres des 15 de ne pas adopter l’euro : en entrant dans l’U.E., les nouveaux membres participeront pleinement à l’U.E.M. (d’où l’importance de la libéralisation des mouvements de capitaux) et devront remplacer leur monnaie par l’euro. La préparation à la mise en place de l’Euro passe par l’obligation faite aux nouveaux venus de limiter les fluctuations du taux de change et de ne pas procéder à des dévaluations compétitives. Le Nouveau pays membre adhère au nouveau Mécanisme de Change Européen (MCE II) : le taux de change de sa monnaie doit être maintenu dans une bande de fluctuation de+/- 15 % vis-à-vis de l’Euro pendant au moins 2 ans avant qu’il puisse adopter l’Euro. Le pays peut être autorisé à réévaluer sa monnaie : cette mesure l’incitera à ne pas retenir un taux de change surévalué. Le Passage définitif à l’euro dépendra du respect du MCE II ainsi que du respect des critères de convergence de Maastricht en terme d’inflation, de déficit, de dette publique et de taux d’intérêt.
Des pays caractérisés par des différences au moins aussi importantes que les ressemblances
Les pays candidats de l’Est européen ont comme point commun d’avoir fonctionné près d’un demi–siècle dans le cadre d’un système d’économie planifiée. Mais les trajectoires suivies par ces pays depuis la chute du mur de Berlin sont extrêmement différentes. Certains pays, comme la Hongrie, la Pologne et la République tchèque ont su réformer leur économie en profondeur en procédant aux réformes institutionnelles et structurelles nécessaires à l’exercice du jeu du marché. Pour d’autres comme la Roumanie ou la Bulgarie, sans parler des pays issus de la Yougoslavie, la dernière décennie aura été une décennie perdue : dans les pays d’Europe orientale, les réformes de fond (privatisation, restructuration des grands combinats...) n’ont pour l’essentiel pas encore été réellement engagées.
Cette pluralité de situations s’exprime notamment dans les différences de niveau de vie. En parité de pouvoir d’achat (P.P.A.), le niveau de vie en Slovénie, le pays le plus « riche » des 10 (PECO et pays baltes), est équivalent à celui de la Grèce le pays le plus « pauvre » de l’U.E. En P.P.A., la Bulgarie, le pays le moins avancé, a un pouvoir d’achat par habitant trois fois inférieur à celui de la Slovénie et plus de 4 fois par rapport à la moyenne de l’U.E.
Les principales difficultés varient selon les pays, y compris entre pays de la « première vague ». La restructuration du secteur bancaire demeure un problème épineux en République tchèque. La Pologne se débat avec un tissu industriel insuffisamment restructuré, tandis que la Hongrie continue à éprouver des difficultés à maîtriser ses déséquilibres publics et commerciaux.
Quel régime de change adopter dans la période précédant l’adhésion ?
La très grande diversité dans les trajectoires de transition fait qu’il y a autant de systèmes de change que de pays. La Bulgarie et l’Estonie ont opté pour un système de caisses d’émission [2], d’autres pour un système de change fixe avec une bande plus ou moins large de fluctuation (exemple du système de parité glissante en Hongrie), d’autres encore pour un flottement plus ou moins libre (géré en République tchèque et en Roumanie et libre en Pologne). De plus, il y a une marge entre le régime de change annoncé par les pays (régime de jure) et la réalité au quotidien (régime de facto).
Les autorités de l’U.E., conscientes de la diversité des trajectoires des pays candidats, ont suivi une démarche pragmatique dans la question du régime de change que doivent adopter les pays candidats. Ainsi, dans la période précédant l’adhésion, chaque pays candidat peut retenir le système de change qui lui convient le mieux. Le choix retenu n’aura pas d’incidence sur les décisions d’intégration prises par les autorités de l’U.E.
Lorsque ces pays feront partie de l’U.E., ils seront amenés à limiter les fluctuations de leur monnaie face à l’euro ; ne serait-il pas souhaitable qu’ils optent dès à présent pour un système de change fixe ?
Ancrer son taux de change à l’euro présenterait de nombreux avantages pour un pays candidat. L’ancrage favorise les politiques de désinflation : la dynamique inflationniste a pour cause première la dépréciation continue du taux de change dans les pays fortement inflationnistes. En outre, l’adoption d’un système de change fixe, en réduisant le risque de change, favoriserait les relations commerciales entre le pays candidat et l’U.E, ainsi que leur intégration dans les réseaux productifs européens par l’intermédiaire de l’augmentation des flux entrants d’investissements directs étrangers.
Théorie des zones monétaires optimales et choix d’un régime de change
La théorie des zones monétaires optimales de Mundell peut fournir un éclairage intéressant sur le choix d’un régime de change. Dans le cadre de cette théorie, un pays candidat aurait d’autant plus intérêt à abandonner la flexibilité de son taux de change, qu’il est économiquement intégré dans l’U.E. Plus le pays est proche par ses structures et ses fondamentaux économiques de l’U.E., plus les risques de chocs asymétriques [3] sont faibles. Elle montre également, que le coût de l’arrimage d’une devise à celle d’une zone monétaire (ici à l’euro) est d’autant plus faible que le marché du travail du pays est flexible (flexibilité des salaires et mobilité de la main d’œuvre).
Quels sont alors les risques que courent les pays candidats d’être touchés par des chocs asymétriques ? Pourraient-ils y faire face ?
Il faut d’abord différencier les pays de la première vague de ceux de la seconde vague. Les risques sont d’autant plus élevés que le processus de transition est peu avancé. C’est pourquoi pour les pays de la seconde vague, arrimer leur monnaie dès à présent à l’euro serait irréaliste : les réformes fondamentales (privatisation et restructuration de l’industrie lourde, du secteur bancaire...) les entraîneront dans des cycles différents de ceux de l’U.E. Le taux de croissance de ces pays dépend fondamentalement de la nature et de l’intensité de leurs réformes et non de l’évolution économique à l’Ouest.
La question se pose, par contre, pour les pays de la première vague, qui se sont considérablement rapprochés de l’U.E.depuis le début de la transition. 2/3 de leurs exportations et importations se font avec l’U.E. Les investissements étrangers importants, notamment en Hongrie et en Pologne, ont contribué à arrimer des secteurs entiers (ex. automobile, électronique) aux réseaux de production et d’échanges européens. Les échanges intra-branches entre l’U.E. et ces PECO ont augmenté depuis le début des années 90 : ils tiennent une place non négligeable dans les échanges extérieurs de la République tchèque, la Hongrie et la Slovénie. Ces Caractéristiques communes expliquent que les chocs subis par les PECO sont désormais corrélés avec ceux des pays de l’UE et que les cycles économiques sont en partie synchronisés.
Mais en même temps, les cinq pays les plus avancés dans les réformes présentent encore des différences de fond avec les pays de l’U.E. :
- Leur structure industrielle demeure marquée par le système d’économie planifiée. Les secteurs primaire et secondaire constituent durablement la production et le niveau des prix. Les chocs de demande, qui résultent de changements inattendus du comportement, national ou international des entreprises, des consommateurs ou des pouvoirs publics, tiennent une place beaucoup plus importante que dans l’U.E., tandis que les services sont encore sous-représentés [4]. L’industrie lourde continue à employer une part significative de la population active. Une part décisive de leurs échanges extérieurs porte sur des secteurs en fin de cycle de vie dans l’U.E., tandis que leur compétitivité repose essentiellement sur le prix des produits. Les risques demeurent donc importants qu’ils soient frappés, notamment sur une base sectorielle, par des chocs qui ne toucheraient pas l’U.E.
- Les PECO de la première vague risquent également d’être frappés par des chocs financiers qui ne sont pas liés nécessairement aux fondamentaux. La crise russe a eu des conséquences sérieuses pour les PECO, – notamment pour la République tchèque –, alors même que l’U.E. a été préservée. D’ailleurs, assez paradoxalement, le processus d’adhésion fait naître des risques de chocs asymétriques supplémentaires : en effet pour intégrer l’U.E.M., les PECO doivent libéraliser les mouvements de capitaux, ce qui favorise la mobilité des capitaux, notamment des capitaux à court terme, et accroît les risques d’attaques spéculatives et de crise financière.
- Ces pays sont entrés dans un processus de rattrapage ; leurs gains de productivité devraient croître plus rapidement que ceux de l’U.E. Cela devrait conduire à des revalorisations de leurs taux de change, ce qui risque de poser des problèmes si leur monnaie était étroitement arrimée à l’euro.
Ainsi, même si les cycles des PECO de la première vague sont désormais en grande partie liés aux évolutions de l’U.E., ils ne sont pas à l’abri de chocs (comme la crise russe), qui par leur nature sont peu susceptibles de toucher sévèrement les pays de l’U.E. En Outre, ils auront beaucoup de difficultés à faire face aux éventuels chocs : les marchés du travail des PECO souffrent d’un manque de mobilité [5] et les gouvernements, contraints par les critères de convergence, ne pourront pas utiliser la politique monétaire, budgétaire ou fiscale pour apporter un éventuel soutien à l’activité économique ou aux acteurs(secteurs, régions...) en difficulté.
Un ancrage fixe à l’euro présenterait de nombreux avantages pour les futurs adhérents. Mais les risques de crises sont réels, alors que les capacités à y répondre efficacement sont réduites, de sorte que les pays adhérents, même de la première vague, ont probablement tout intérêt à conserver un régime de change relativement flexible dans les années à venir.
PIB par habitant en $/an | PIB par habitant en $/an en Parité de Pouvoir d’Achat | |
---|---|---|
Pays de la « première vague » | 4 524 | 10 184 |
Estonie | 5 170 | 8 223 |
Hongrie | 4 805 | 11 256 |
Pologne | 3 984 | 8 845 |
République tchèque | 5 170 | 13 389 |
Slovénie | 10 981 | 15 669 |
Pays de la « seconde vague » | 1 958 | 6 349 |
Bulgarie | 1 540 | 5 149 |
Lettonie | 2 593 | 6 074 |
Lituanie | 2 885 | 6 833 |
République slovaque | 3 491 | 10 230 |
Roumanie | 1 523 | 5 807 |
U.E.-15 | 22 672 | 22 303 |
Maximum | 43 467 | 36 727 |
Minimum | 11 433 | 15 207 |
Source : F.M.I , 2000, World Economic Outlook, Accession of Transition Economies to the European Union.
[1] Pour les six autres pays, les négociations ont été ouvertes formellement le 15 février 2000.
[2] Toute monnaie émise par la Banque centrale est adossée aux réserves en devises du pays, de sorte que la convertibilité de la monnaie est, en principe, assurée.
[3] Des chocs asymétriques sont des chocs qui frappent un partenaire sans toucher l’autre. Les chocs peuvent être de deux types. Les chocs d’offre, qui sont des chocs non anticipés touchant par exemple la technologie et les prix, et qui modifient durablement la production et le niveau des prix. Les chocs de demande, qui résultent de changements inattendus du comportement, national ou international des entreprises, des consommateurs ou des pouvoirs publics.
[4] Seule l’Estonie a un secteur industriel et des services qui se situent dans la moyenne de l’U.E.
[5] Si les marchés du travail des PECO sont relativement flexibles en terme de protection des salariés et de variation des salaires réels, la mobilité entre secteurs, activités et régions est par contre faible.
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