Le dogmatisme budgétaire européen

Gilbert Koenig, Université de Strasbourg (BETA)

Le recours aux politiques budgétaires pour influencer la demande macroéconomique et le chômage conjoncturel semble être mis en doute dans l’UEM. Cette défiance se fonde sur des idées et des principes économiques anciens dont l’application stricte explique probablement, au moins en partie, les résultats économiques décevants obtenus dans l’UEM depuis 1999.

Mots-clefs : déficits budgétaires et endettement public, discipline budgétaire, dogmatisme budgétaire européen, effets stabilisateurs de la politique budgétaire, efficience des marchés, marge de manœuvre budgétaire , politique budgétaire, règles de politique budgétaire.

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Gilbert Koenig « Le dogmatisme budgétaire européen », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 9, 3 - 8, Hiver 2003.

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L’instauration de l’Union économique et monétaire (UEM) constitue une étape déterminante de la construction européenne qui, selon ses promoteurs, doit assurer à ses citoyens la prospérité économique et le progrès social. Dans l’espoir d’atteindre ces objectifs, les pays européens, notamment la France, ont consenti des sacrifices importants, surtout en terme d’emploi, pour remplir les conditions d’accès à l’union. Mais après un fonctionnement de plus de quatre ans, l’UEM est loin d’obtenir les résultats promis. Ses principales composantes ont un taux de croissance très faible, le chômage de masse subsiste et tend même à augmenter, l’investissement est peu dynamique et la déconnexion de l’économie européenne par rapport aux aléas conjoncturels qui se manifestent à l’étranger n’est pas réalisée.

Ces résultats provoquent un sentiment de désillusion. Ils ne mettent pas en cause le principe de la construction européenne et de la monnaie unique, mais ils suscitent des questions sur la pertinence des fondements et de la pratique de la politique macroéconomique menée en Europe depuis l’avènement de l’euro.

La conception européenne portant sur les objectifs et l’efficacité de la politique macroéconomique trouve ses sources dans les réflexions d’auteurs du 18ème et du 19ème siècle qui ont déjà inspiré la théorie dominante dans les années 20 et 30. La domination de cette théorie s’est exercée jusqu’à ce que les échecs de son application imposent les idées keynésiennes. Ces dernières qui ont inspiré les décisions publiques au cours de la période de forte croissance de l’après-guerre ont été contestées à leur tour par le courant des nouveaux classiques qui émerge dans les années 70. Ce courant propose dans un cadre analytique généralement rigoureux et élégant, le renouveau d’idées et de principes économiques anciens. Cette théorie conduit les responsables économiques à négliger la politique budgétaire comme instrument de stabilisation et à confier à la politique monétaire le soin de réaliser les conditions de la prospérité en assurant la stabilité des prix. Ses enseignements appliqués au pied de la lettre en Europe ont permis de réaliser des niveaux faibles d’inflation qui ont assuré la stabilité des prix. Mais celle-ci n’a pas engendré la croissance forte et le haut niveau d’emploi qui devaient en résulter. De ce fait, l’UEM compte essentiellement sur une amélioration de la conjoncture américaine pour assurer la reprise de son économie. De tels résultats devraient inciter les responsables européens à ré-envisager la politique macroéconomique dans l’UEM pour éviter une détérioration de la confiance des citoyens envers la construction de l’Europe.

Un vieux vin mauvais servi dans d’élégantes bouteilles neuves

La théorie macroéconomique qui semble constituer la référence pour les décideurs publics européens, trouve son inspiration dans l’œuvre de A. Smith (1723-1790) qui soutient que les forces du marché, comme une main invisible, guident l’économie vers l’efficacité. Ce mécanisme a fait l’objet de constructions théoriques dont la version contemporaine aboutit, comme les anciennes, à une mise en cause des politiques de demande macroéconomique.

La formalisation contemporaine du mécanisme de la main invisible

Le mécanisme de la main invisible est représenté initialement par des modèles qui se fondent sur des hypothèses de perfection de la concurrence, de l’information et de la flexibilité des prix et qui expliquent la réalisation automatique d’un optimum économique pour la société. La théorie contemporaine des cycles réels qui se place dans la tradition de ces modèles, tente d’expliquer les variations de cet optimum dues à des chocs réels, comme ceux de nature technologique. Elle conserve, au moins dans les modèles les plus simples, les hypothèses traditionnelles, mais elle intègre un traitement considéré comme plus satisfaisant de la formation des anticipations. Elle se fonde sur le mécanisme de la main invisible pour justifier l’efficience des marchés et pour expliquer comment les fluctuations économiques constituent des réponses optimales aux chocs réels qui affectent la production.

Dans cette optique, le taux naturel de sous-emploi qui correspond à un optimum ne peut être réduit que par des mesures structurelles destinées à éliminer ou à atténuer certains imperfections institutionnelles ou à corriger des distorsions d’origine fiscales.

La croyance dans le mécanisme de la main invisible relève de la foi. Elle n’appelle donc aucune justification rationnelle. Par contre les constructions théoriques incorporant un tel mécanisme ont été évaluées par la science économique moderne qui en a montré les limites.

Dans une intervention récente , R. Solow [1], lauréat du prix Nobel 1987, exprime les principales réserves que suscitent les modèles de cycles réels. Il considère qu’ils utilisent des approches, comme celle de l’agent représentatif, et des hypothèses, comme celle de l’efficience des marchés, qui sont contestables, notamment pour leur faible réalisme. De plus, les modèles de ce type « n’ont aucune espèce de validation empirique sur données américaines ». Du fait de ces carences, personne ne peut affirmer qu’ils « fonctionnent, tellement bien qu’ils doivent être acceptés […] et qu’ils puissent constituer un guide sérieux à la politique budgétaire ». Quant au taux naturel de sous-emploi qui ne peut pas être réduit par une politique de demande, il est difficile de l’estimer d’une façon incontestable. C’est ainsi que dans les années 90, les modèles économétriques de la Fed considéraient que ce taux se situait entre 6 et 6,2% de la population active aux États-Unis, alors que l’amélioration de la conjoncture avait abouti à un taux qui s’était maintenu à 4% sans déchaîner l’inflation.

La mise en cause des effets stabilisateurs de la politique budgétaire

Dans la conception actuellement dominante, une politique budgétaire destinée à stimuler la demande macroéconomique est inutile non seulement parce que, selon le modèle de référence, cette demande est toujours suffisante, mais aussi parce qu’elle serait incapable de l’influencer

Cette opinion se fonde sur un principe que R. Barro a emprunté en 1974 à D. Ricardo (1772-1823). Selon ce principe appelé équivalence ricardienne, les agents qui bénéficient d’une baisse d’impôts destinée à relancer leur consommation sont incités, non à consommer le revenu ainsi économisé, mais à le placer sous la forme de titres dont le remboursement et les intérêts pourront être utilisés pour faire face à l’accroissement de leurs charges fiscales futures. En effet, ils sont supposés avoir conscience de ce que le déficit budgétaire présent induit par la baisse d’impôts doit être financé par un emprunt dont les intérêts et le remboursement doivent être financés par des impôts futurs.

Pour que l’application du principe d’équivalence ricardienne puisse assurer la neutralité d’une politique budgétaire, il faut que certaines conditions soient remplies. Il faut notamment que les consommateurs soient parfaitement clairvoyants, que les marchés financiers soient parfaits et que la flexibilité des prix soit importante. Or ces conditions ne sont généralement pas réunies en pratique, ce qui explique la faiblesse des phénomènes d’équivalence ricardienne observés empiriquement, notamment dans le cadre d’un modèle récent adapté à la zone euro [2].

Pourtant certaines statistiques semblent prouver la faible influence des expansions budgétaires sur la demande et sur l’activité macroéconomiques en montrant qu’une hausse des déficits budgétaires ne s’accompagne pas nécessairement d’une amélioration du niveau d’activité. En fait, de telles observations ne mettent pas en cause l’efficacité de la politique budgétaire en tant qu’instrument de stabilisation. En effet, les déficits budgétaires ne résultent pas nécessairement d’une politique de relance de la demande. Ils peuvent aussi provenir de mesures structurelles destinées à influencer l’affectation des ressources ou la répartition des revenus sans effet sur le niveau de l’emploi.

C’est ainsi que les baisses d’impôts sur le revenu mises en œuvre en France en 2002 et 2003 et officiellement destinées à relancer la consommation ne vont probablement que modifier la répartition de l’épargne nationale au profit du secteur privé dans la mesure où elles bénéficient essentiellement aux agents à revenus élevés [3]. De même le programme de baisse d’impôts proposé par l’administration Bush qui est censé relancer l’économie comprend différentes mesures, comme la réduction de la taxation des dividendes qui, selon deux rapports du Congrès américain, n’auront qu’un effet marginal sur l’économie [4].

Les expansions budgétaires destinées à réduire le sous-emploi ne sont pas seulement contestées à cause de leur inefficacité supposée, mais aussi parce que les déficits qu’elles induisent réduisent la confiance des agents et risquent de déprimer la consommation et l’investissement. De ce fait, il conviendrait plutôt de réduire les déficits budgétaires que de les augmenter pour améliorer l’emploi, comme le préconise le président de la BCE [5] . Cet argument constitue, selon J. Stiglitz, « le dernier refuge de ceux qui n’en ont pas d’autres » [6]. En effet, il n’est pas vérifiable empiriquement dans la mesure où la confiance est trop insaisissable pour qu’on puisse la mesurer.

Pourtant la baisse du déficit américain décidée au début de la présidence de B. Clinton et l’amélioration de la conjoncture qui l’a accompagnée semblent montrer le bien fondé de cette conception. Mais, selon le conseiller économique en chef du président Clinton, cette amélioration de la conjoncture n’est pas due à la baisse du déficit budgétaire énorme héritée de l’administration précédente, mais à des facteurs fortuits ayant favorisé la distribution des crédits [7]. Quant aux 3 excédents ultérieurs, ils ont été générés par la croissance forte des années 90. La contestation de la politique budgétaire porte essentiellement sur les décisions discrétionnaires des gouvernements en matière de dépenses et de recettes publiques. Elle semble épargner les stabilisateurs budgétaires automatiques dont l’existence se justifie généralement par le manque de souplesse des mesures discrétionnaires. Ces stabilisateurs font partie de la structure institutionnelle d’un pays, comme les allocations de chômage qui augmentent en cas de récession ou les impôts qui s’accroissent plus que proportionnellement aux revenus en cas de surchauffe. Ils permettent d’amortir mécaniquement les effets des chocs conjoncturels sans que des décisions publiques spécifiques doivent être prises.

Mais les changements de la structure des dépenses et des recettes publiques qui résultent des mesures actuellement préconisées en vue de réduire le rôle de l’État dans certains domaines et d’influencer la répartition des revenus et l’affectation des ressources aboutissent à une diminution du rôle des stabilisateurs automatiques.

La pratique budgétaire européenne

Les conceptions économiques qui viennent d’être exposées et qui semblent être prises au pied de la lettre par les responsables européens aboutissent à une pratique budgétaire qui privilégie les considérations de discipline financière et les mesures de réductions fiscales.

La discipline financière

La discipline financière est imposée par le pacte de stabilité et de croissance qui exige la réalisation d’un équilibre budgétaire à moyen terme. Les termes de la contrainte (déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB) imposée aux gouvernements nationaux par ce pacte seraient raisonnables dans un contexte de forts taux de croissance et d’emploi. Ils paraissent excessifs dans la situation de faible croissance et de chômage de masse que connaît l’UEM depuis de nombreuses années. En effet, une telle situation détermine de faibles recettes fiscales et une hausse de certaines dépenses de transfert, de sorte que la marge de manœuvre budgétaire est étroite. La prédominance des considérations de discipline financière dans de telles situations aboutit à des mesures dont la pertinence serait probablement difficile à justifier devant des étudiants de premier cycle de sciences économiques sur la base de leur programme de macroéconomie. C’est ainsi que les Pays-Bas ont été amenés à mettre sur pied un plan de rigueur pour 2004, alors qu’ils sont en récession. Quant à la France et à l’Allemagne qui ne sont pas en mesure de respecter les clauses du pacte, elles sont sommées de réduire leurs déficits budgétaires dans une situation de basse conjoncture sous la menace d’une sanction dont l’application détériorerait encore plus cette situation. A cette menace, le président de la BCE ajoute celle d’une hausse du taux d’intérêt qu’il se réserve de proposer à son conseil en l’absence d’assainissement financier [8]. Une telle hausse que susciterait l’indiscipline de certains pays s’appliquerait à l’ensemble de l’UEM et pourrait ainsi être considérée comme une sorte de punition collective.

Ces exigences contraires au bon sens et aux principes économiques élémentaires sont peu crédibles parce que leur application conduit à des résultats économiques qui ne sont pas politiquement acceptables. De ce fait, leur maintien conduit nécessairement à des conflits entre les responsables politiques et les responsables techniques de l’application des dispositions du pacte. C’est ainsi qu’en novembre 2003 le conseil des ministres des finances de la zone euro s’est opposé aux recommandations de la commission et a décidé de suspendre les procédures en déficits excessifs visant l’Allemagne et la France. Cette décision de ne pas appliquer strictement les dispositions du pacte peut avoir des conséquences négatives sur la confiance des citoyens dans la construction européenne. Mais cette confiance aurait probablement été encore plus affectée par les effets économiques néfastes qu’aurait provoqués l’acceptation des mesures budgétaires restrictives préconisées par la commission dans une situation de basse conjoncture.
Il est probable qu’on veuille assurer la crédibilité du pacte de stabilité en proposant l’introduction de ses dispositions dans la constitution européenne (article III-7). Mais le coût économique d’une application stricte et mécanique de ces dispositions en termes de croissance et d’emploi devrait inciter à renoncer à cette introduction et à mettre sur pied des règles de disciplines budgétaires plus souples et plus cohérentes.

Une certaine souplesse pourrait également s’appliquer à la gestion du budget européen. En effet, ce budget doit actuellement être équilibré en permanence, ce qui peut se justifier par le fait que ses ressources proviennent essentiellement des contributions des États. Mais le pouvoir budgétaire européen est appelé à se développer progressivement pour déboucher sur une organisation analogue à celle adoptée par des fédérations, comme la Suisse ou les États-Unis. Dans cette optique, le budget européen peut être utilisé pour agir sur la conjoncture par ses dépenses et par les impôts prélevés sur les citoyens européens. Il doit donc pouvoir être déséquilibré transitoirement. Or une telle évolution risque d’être gelée par l’adoption du projet d’introduire dans la constitution européenne l’obligation pour l’Union d’équilibrer en permanence son budget (titre VII, article 52). On peut remarquer que les États-Unis se sont refusés jusqu’ici à introduire une telle disposition dans leur constitution, malgré les nombreuses propositions faites dans ce sens.

À l’heure actuelle, une action budgétaire décidée au niveau européen ne peut être envisagée que dans le cadre de projets ponctuels, comme celui qui prévoit, en octobre 2003, des grands travaux d’infrastructure de transport et d’énergie et qui risque d’être abandonné comme le projet Delors de 1994 faute de trouver les moyens de financement nécessaires.

La baisse des impôts

Les décideurs publics nationaux semblent convaincus de la nécessité de réduire les impôts. Ces diminutions n’ont pas comme objet essentiel de stimuler la demande macroéconomique, mais elles sont destinées, conformément aux conceptions dominantes, à éliminer ou à atténuer certaines imperfections. Elles sont notamment préconisées pour stimuler l’offre de travail dans la perspective des économistes de l’offre dont on a tenté d’appliquer les principes aux États-Unis, notamment au début de la présidence de R. Reagan. Cette stimulation est censée réduire le chômage d’équilibre et accroître ainsi la base d’imposition des revenus. Cet accroissement permet d’espérer une hausse des recettes fiscales, malgré la baisse du taux d’imposition qui l’a engendrée. Cet espoir est fondé sur un raisonnement illustré par la courbe de Laffer selon laquelle la hausse du taux d’imposition détermine celle des recettes fiscales jusqu’à ce que ce taux atteigne un niveau critique au-delà duquel son accroissement entraîne une baisse des rentrées fiscales. Il suppose que les contribuables considèrent que le taux d’imposition supporté est supérieur à ce seuil critique.

Mais l’espoir d’accroître sensiblement l’emploi par une stimulation fiscale de l’offre de travail paraît illusoire. En effet, plusieurs travaux empiriques menés depuis 1980 ont montré que l’offre de travail est peu sensible aux variations du taux d’imposition [9]. Cette faible élasticité est confirmée par une enquête récente [10] qui a montré que les fuites de cerveaux attribuées à la forte pression fiscale française est largement surestimée.

Quant à la formule fondée sur la courbe de Laffer selon laquelle une baisse des taux d’imposition permet d’accroître les recettes fiscales, elle ne semble pas bénéficier de fondements empiriques solides. C’est ainsi que, selon un travail statistique concernant la France, la baisse du taux marginal d’imposition portant sur les revenus les plus élevés conduit à une perte nette de recettes fiscales au profit des contribuables concernés [11].

Mais même si leurs effets sur les comportements d’offre sont faibles, les réductions fiscales sont considérées comme nécessaires pour obliger les gouvernements à réduire les dépenses publiques sous peine d’être sanctionnés pour des déficits excessifs. Elles sont donc essentiellement préconisées pour réduire le rôle de l’Etat dans l’économie et pour favoriser ainsi le mécanisme de la main invisible [12]. La conception européenne des services publics baptisés services d’intérêt général permet de réaliser cet objectif. En effet, elle se réfère à la loi du marché pour orienter la fourniture de ces services qui peut être effectuée par des organismes publics ou par des entreprises privées considérées généralement comme plus efficientes.

Une réhabilitation souhaitable de la politique budgétaire en tant qu’instrument de stabilisation

La réhabilitation d’une politique budgétaire discrétionnaire nécessiterait l’abandon du cadre de référence qui décrit des économies utopiques menées par une main invisible et son remplacement par des modèles adaptés aux économies contemporaines qui sont caractérisées par des situations de concurrence imparfaite et par des rigidités ne traduisant pas nécessairement des comportements irrationnels. Dans ce nouveau cadre, une action sur la demande macroéconomique peut se justifier, parce que les situations d’équilibre ne sont pas nécessairement des optima.

Une telle politique doit permettre à chaque pays de corriger les insuffisances de la demande de biens qui sont sources de chômage. Elle doit intervenir assez rapidement pour éviter que le chômage qui est initialement conjoncturel ne devienne structurel. Des études ont montré qu’une partie de la hausse du chômage structurel européen de ces dernières années peut être attribuée à l’absence d’une action sur la demande.

Les politiques budgétaires comportent cependant des difficultés d’application. C’est ainsi que la baisse du chômage que des mesures de relance devraient obtenir est délicate à chiffrer, comme le montrent les controverses sur l’évaluation du taux naturel de sous-emploi. De plus, les actions sur les dépenses et les recettes publiques destinées à stabiliser l’économie sont parfois difficiles à séparer de celles devant influencer l’affectation des ressources et la répartition des revenus, ce qui est illustré par la confusion de ces fonctions budgétaires dans le programme économique de l’administration Bush. Enfin, les politiques budgétaires manquent souvent de souplesse. C’est ainsi que l’application des mesures décidées peut être retardée, notamment à cause de la longueur des procédures budgétaires, ce qui peut avoir des effets non désirés sur l’économie. La souplesse limitée des politiques budgétaires a conduit R. Solow à préconiser une réhabilitation des stabilisateurs budgétaires automatiques dont l’existence a probablement évité la survenance au cours de ces trente dernières années d’une crise aussi importante que celle des années 30 [13].

Les difficultés de la mise en œuvre des politiques budgétaires doivent inciter les responsables européens à adopter des positions pragmatiques et financièrement raisonnables. On peut être tenté de trouver un exemple de pragmatisme et de son efficacité dans l’expérience budgétaire menée actuellement par l’administration Bush. Mais cette politique semble hasardeuse à cause des incertitudes que font peser sur l’économie américaine son déficit budgétaire et son endettement extérieur énormes. Une politique analogue a d’ailleurs été menée en 1981 par l’administration Reagan. Combinée à une politique monétaire restrictive, elle a engendré la récession la plus importante depuis 1945.

Les risques des retombées économiques de telles crises devraient inciter l’UEM à renoncer à son dogmatisme monétaire et budgétaire qui la condamne à adopter un comportement de suiveur de la conjoncture internationale et à élaborer une politique macroéconomique active.


[1R.M.Solow, « Peut-on recourir à la politique budgétaire ? Est-ce souhaitable ? », Revue de l’OFCE, octobre 2002, p.7-24.

[2P.Jacquinot, F. Mihoubi, « L’apport des modèles de la nouvelle génération à l’analyse économique, l’exemple de MARCOS », Bulletin de la Banque de France.

[3Etudes des syndicats du ministère des finances, Le Monde, 23 juillet 2002.

[4Les Échos, 19 mai 2003.

[5Le Monde, 22 novembre 2003.

[6J. Stiglitz, Quand le capitalisme perd la tête, Fayard, 2003, p.83.

[7J. Stiglitz, Op.cit, p.79-80.

[8Le Monde, 22-11-03.

[9G. Koenig, « L’économie de l’offre », Eurépargne, 1983-2, p.20-21.

[10Étude publiée par l’APEC, Les Échos, 12 mars 2003.

[11Compte rendu d’une étude de T. Piketty , Les Échos, 28 avril 1999.

[12M. Friedman, « Baisse d’impôts = gouvernement modeste », Le Monde, 23 janvier 2003.

[13R.Solow, Loc. cit., p.17-21.

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