Les politiques budgétaires dans le projet de traité constitutionnel
Gilbert Koenig, Université de Strasbourg (BETA)
Le projet de traité constitutionnel propose de pérenniser la défiance suscitée depuis l’instauration de l’UEM par les politiques budgétaires qui risquent d’être menées par les États d’une façon égoïste et laxiste. Pour éviter qu’une action nationale nuise aux autres États, il préconise une coordination des politiques au sein des GOPE. Contre le laxisme supposé des États, il spécifie une procédure d’encadrement des déficits publics qui est complétée par les mesures du pacte de stabilité et qui vise plutôt la réalisation d’un équilibre financier que le contrôle de l’évolution de l’endettement public. Mais ces mesures ne constituent pas seulement des règles de disciplines, elles reflètent également une conception minimaliste de l’intervention budgétaire limitée au mécanisme des stabilisateurs automatiques dont l’efficacité est réduite par la diminution du rôle de l’État préconisée dans le projet. L’adoption d’une telle conception risque de laisser les États sans moyens efficaces pour soutenir par une politique de la demande des actions structurelles favorables à l’offre recommandées par ailleurs dans le projet.
Mots-clefs : Traité Constitutionnel , coordination des politiques, critères de Maastricht, déficits budgétaires et endettement public, discipline budgétaire, Grandes orientations de la politique économique (GOPE), Pacte de stabilité et de croissance (PSC), politique budgétaire, Traité de Maastricht, traités européens.
Citer cet article
Gilbert Koenig « Les politiques budgétaires dans le projet de traité constitutionnel », Bulletin de l’Observatoire des Politiques Économiques en Europe, vol. 12, 24 - 29, Printemps 2005.
En formant une union monétaire autour de l’euro, les pays européens ont abandonné le contrôle de leur monnaie, c’est-à-dire le pouvoir de fixer le taux d’intérêt et le taux de change en fonction de leur situation économique. De ce fait, chaque pays ne peut utiliser que l’instrument budgétaire pour faire face à des chocs conjoncturels. Mais ces politiques nationales doivent être coordonnées au sein d’une union pour éviter que les mesures budgétaires prises dans ses différentes composantes ne se nuisent ou ne s’annulent mutuellement. De plus, elles doivent respecter une règle de discipline pour éviter des endettements excessifs qui pourraient conduire la Banque centrale européenne (BCE) à créer des liquidités au bénéfice des pays en difficulté et à générer ainsi un taux d’inflation supérieur au taux désiré. Le chapitre 2 de la partie 3 du projet de constitution consacré à la politique économique et monétaire spécifie dans sa section 1 les principes de la coordination des actions économiques dans le cadre des grandes orientations des politiques économiques (GOPE) et les modalités de contrôle des déficits excessifs pouvant résulter de ces actions. Ces dispositions ne modifient que très peu celles du traité de Maastricht. On peut donc supposer que la pratique européenne des politiques budgétaires a paru suffisamment satisfaisante depuis 1999 aux rédacteurs du projet constitutionnel pour que ses principes soient consacrés dans un texte qui, s’il est adopté, sera difficile à amender, même avec une procédure de révision simplifiée. Pour juger de la pertinence de cette décision et pour en évaluer les conséquences, il paraît utile d’analyser le texte constitutionnel relatif aux politiques budgétaires et ses implications à la lumière de la pratique européenne.
Comme le pacte de stabilité et de croissance adopté par le Conseil européen d’Amsterdam de juin 1997 reprend et complète les dispositions du traité de Maastricht, il se place également dans le prolongement de celles du projet constitutionnel. Mais ce pacte n’est pas seulement une règle de discipline, il constitue aussi une règle de politique budgétaire. Avec ces deux facettes, le pacte suscite de nombreuses critiques et des propositions de réforme. Mais ces dernières devront être compatibles avec les dispositions du traité constitutionnel, ce qui limite probablement leur ambition.
1. L’encadrement des politiques budgétaires
Les dispositions du projet constitutionnel portant sur les politiques budgétaires sont destinées à coordonner les actions nationales et à éviter les déficits publics excessifs.
La coordination des politiques budgétaires
Les grandes orientations des politiques économiques participent à la coordination des politiques budgétaires en définissant les lignes de conduite à suivre en vue de la réalisation des objectifs économiques de l’Union. Elles constituent également une référence pour la réalisation d’une coordination entre les politiques budgétaires nationales et la politique monétaire. C’est ainsi que le Conseil peut adresser une recommandation à un État membre dont la politique budgétaire risque de mettre en cause l’objectif de stabilité des prix de la BCE. D’ailleurs, comme cet objectif a été placé parmi ceux de l’Union sur la demande de la BCE après juillet 2003 (article 1-3/3), il doit être directement visé par les politiques budgétaires.
Dans cette optique, une recommandation du Conseil a été adressée en 2001 à l’Irlande qui avait pourtant un excédent budgétaire de 4,7% du PIB et un taux d’endettement public faible. Mais le Conseil estimait que les mesures budgétaires envisagées par le pays risquaient d’induire des tensions inflationnistes préjudiciables pour l’Union. De ce fait, il a préconisé un freinage budgétaire qui risquait d’exercer un effet défavorable sur l’emploi. Cette expérience illustre la subordination des politiques budgétaires et de l’objectif d’emploi que se fixe l’Union à la politique monétaire et à son objectif de stabilité des prix.
La contrainte ainsi placée sur les politiques budgétaires est d’autant plus importante que le taux d’inflation devant assurer la stabilité des prix selon la BCE est dangereusement bas. En effet, cette stabilité est définie depuis 1998 « comme une progression sur un an de l’indice des prix à la consommation harmonisé inférieure à 2%. » (BCE, 2004, p.II). Or pour que le taux d’inflation européen ne dépasse pas ce plafond tout en restant positif, il doit être de 1% en moyenne pour l’ensemble des pays membres. Mais pour obtenir une telle moyenne, il faut que certains pays réalisent une inflation inférieure à ce taux, ce qui les rapproche d’une situation déflationniste bien plus dangereuse que l’inflation. En fait, un tel taux n’a jamais été obtenu depuis 1999 malgré un chômage massif. Considérant probablement que le plafond de 2% d’inflation était peu crédible, le conseil des gouverneurs a décidé en mai 2003 qu’il viserait « à maintenir les taux d’inflation à des niveaux proches de 2% à moyen terme » tout en maintenant la définition ci-dessus de la stabilité des prix (BCE, 2004, p.III). Mais ce taux moyen sera probablement difficile à obtenir si l’on considère que le taux d’inflation annuel est supérieur à 2% depuis 2000.
La procédure des déficits excessifs
La seconde catégorie de mesures d’encadrement des politiques budgétaires a comme objet d’éviter les déficits publics excessifs. L’instauration d’une discipline budgétaire s’impose généralement pour empêcher que les déficits entraînent un endettement public explosif. Mais dans l’optique du projet constitutionnel, il s’agit plutôt d’obtenir des finances publiques saines, ce que le pacte de stabilité traduit par l’exigence imposée aux États de réaliser un équilibre ou un excédent budgétaire à moyen terme. Cette conception se place dans la perspective de certains économistes du 19e siècle qui préconisaient l’équilibre budgétaire comme principe d’une gestion saine des finances publiques analogue à celle des finances d’un bon père de famille.
Si la réalisation de cet objectif d’équilibre budgétaire évite un endettement explosif, il aboutit aussi à une réduction, puis à une disparition à long terme de la dette publique. Or, une telle évolution comporte des inconvénients assez importants. Elle risque notamment de mettre en cause le bon fonctionnement des marchés financiers assuré par la liquidité des titres publics et de réduire les moyens de la politique monétaire dans la mesure où ces titres sont les vecteurs de la politique d’open-market.
Le principe de l’équilibre budgétaire est appliqué d’une façon plus stricte pour l’Union dont le budget annuel doit être équilibré (art 1-53/2). Une telle restriction que les responsables politiques américains ont refusé par deux fois d’introduire dans leur constitution, laisse peu de marge de manœuvre à une politique budgétaire européenne qui pourrait être menée d’une façon centralisée dans le cadre d’une évolution vers un fédéralisme budgétaire.
Le projet de traité décrit d’une façon minutieuse la procédure de contrôle des déficits en renforçant le pouvoir de la commission. En effet, selon l’article III-184/6, le Conseil des ministres décide s’il y a déficit excessif, non sur la base d’une recommandation de la commission, comme dans le traité de Maastricht, mais sur celle d’une proposition de celle-ci qui ne peut être amendée qu’à l’unanimité.
Les valeurs de référence qui sont les mêmes que celles comprises dans le traité de Maastricht permettant de considérer un déficit comme excessif sont définies dans un protocole (déficit public/PIB =0,03 ; dette publique/PIB =0,6). Elles ne sont fondées sur aucune justification économique. Elles peuvent donc à un moment donné se trouver en contradiction avec les exigences économiques. De ce fait, leur pérennisation dans un texte constitutionnel est très contestable. De plus, ces valeurs sont les mêmes pour tous les membres de l’Union, ce qui se justifie par la volonté d’assainir les finances publiques en réalisant un objectif d’équilibre budgétaire pour tous. Mais si l’on considère qu’il s’agit plutôt de contrôler l’évolution de la dette publique, il faudrait moduler ces valeurs selon les endettements respectifs des pays.
À l’heure actuelle, une procédure de déficits excessifs est engagée dans l’UEM contre la Grèce à laquelle la Commission recommande de ramener son déficit sous les 3% du PIB en 2005. Depuis 1999, de telles procédures ont été engagées contre le Portugal, l’Allemagne et la France. Aucune d’elles n’a débouché sur des sanctions bien que les efforts de redressement n’en soient parfois restés qu’au stade des promesses. En fait, la menace de sanctions semble peu crédible, notamment parce qu’en imposant des amendes à un pays en graves difficultés, on détériorerait encore plus sa situation et on susciterait dans l’opinion nationale un sentiment antieuropéen. Il semble donc qu’on ne dispose pas des moyens pour faire respecter les dispositions rigoureuses du pacte.
Malgré les défauts du mécanisme d’encadrement des politiques budgétaires défini dans le traité de Maastricht et le pacte de stabilité, les rédacteurs l’ont conservé dans le projet de constitution tout en se déclarant ouverts à des amendements du pacte. Mais si le projet est adopté, ces amendements ne peuvent concerner que les dispositions non définies explicitement dans le texte constitutionnel, sauf si l’on veut entreprendre une révision constitutionnelle de ce texte. C’est ainsi qu’en définissant explicitement le concept de déficit public comme le besoin net de financement des administrations publiques, le protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs écarte des amendements envisageables sans révision constitutionnelle les propositions de définir un indicateur de déficit corrigé des fluctuations cycliques par rapport à un indicateur courant ou excluant les investissements publics. En fait, la Commission semble essentiellement envisager un assouplissement de l’obligation de parvenir à un budget équilibré ou excédentaire en modulant le rythme de convergence en fonction de la croissance et de l’endettement du pays. Quant aux ministres européens des finances, ils préconisent en janvier 2005 différents aménagements de la mise en œuvre des dispositions du pacte et un renforcement de son aspect préventif qui obligerait les pays à réduire leur déficit avant la limite des 3% du PIB.
Ces efforts marginaux d’adaptation paraissent vains à certains économistes comme Wyplosz qui, à la lumière de la pratique européenne depuis 1999, considère qu’il faut s’attaquer à la logique du pacte. Selon lui, les règles de discipline doivent prévenir une hausse durable de la dette publique et non chercher systématiquement un équilibre financier et elles doivent être spécifiques pour chaque pays, mais coordonnées sur le plan de l’Union. L’adoption d’une telle perspective nécessiterait une modification du projet de traité constitutionnel que les instances européennes ne semblent pas envisager.
2. La nature des politiques budgétaires
Certaines dispositions du Traité de Maastricht reprises dans le projet constitutionnel peuvent expliquer la défiance des autorités européennes envers les politiques budgétaires actives destinées à stimuler l’activité économique. Quant au pacte de stabilité qui prolonge et complète ces dispositions, il révèle leur préférence pour le jeu des stabilisateurs budgétaires automatiques.
L’abandon des politiques discrétionnaires contra-cycliques
Selon l’article III-178, les États membres de l’Union doivent conduire leurs politiques économiques « dans le respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, favorisant une allocation efficace des ressources ». Une telle économie est sensée accomplir un équilibre économique stable assurant un taux naturel de sous-emploi qui caractérise une situation dans laquelle les anticipations sur les prix des biens sont réalisées. Cet équilibre ne peut être amélioré que transitoirement par une expansion budgétaire discrétionnaire qui en stimulant la demande de biens accroît le taux d’inflation au-delà du taux anticipé. En effet, à terme le taux d’inflation anticipé s’ajuste au taux courant, ce qui ramène l’économie à son niveau d’emploi initial, mais avec un taux d’inflation plus élevé. Dans cette optique, la situation de l’emploi ne peut être améliorée durablement que par des politiques structurelles. C’est pourquoi le projet constitutionnel incite l’Union et les États membres à réaliser l’objectif de haut niveau d’emploi défini dans l’article 1-3/3 par une stratégie consistant notamment à promouvoir une main d’œuvre qualifiée, formée et susceptible de s’adapter ainsi que des marchés du travail aptes à réagir rapidement à l’évolution de l’économie (article III-203).
Ce schéma de référence peut expliquer les réticences européennes exprimées notamment dans les rapports économiques de la Commission envers l’activisme budgétaire contra-cyclique des pays européens.
Mais, comme le note Solow (2002), pour qu’un tel schéma ait une portée pratique, il faut que le taux naturel de sous-emploi soit stable et que l’on puisse l’estimer d’une façon incontestable. Or ces conditions ne sont pas toujours remplies comme le montre l’exemple américain des années 90. En effet, au cours de cette période, l’administration Clinton a obtenu un taux de chômage d’environ 4% de la population active sans tension inflationniste, alors que le taux naturel de sous-emploi était estimé à plus de 6%.
De plus, comme les ajustements économiques peuvent être très lents, il serait déraisonnable de renoncer à une action dont les effets favorables à l’emploi peuvent s’exercer pendant plusieurs mois, voire durant des années, sous prétexte qu’elle n’a pas d’incidences durables.
Enfin, la confiance qui est portée, comme un leitmotiv dans de nombreux articles du traité, à une économie concurrentielle de marché pour réaliser une affectation efficace des ressources que l’on considère probablement comme un optimum, n’est fondée économiquement que par un modèle élémentaire supposant la concurrence pure et parfaite. Un tel modèle ne peut pas décrire l’économie européenne qui est dominée, comme toutes les économies développées, par la concurrence imparfaite. Or les schémas qui décrivent ces situations n’aboutissent pas nécessairement à une affectation optimale des ressources, ce qui laisse donc aux politiques budgétaires un champ d’application.
Dans l’optique du projet constitutionnel et du pacte qui prolonge ses dispositions, des mesures discrétionnaires peuvent cependant se justifier si elles ont comme objet de réaliser un assainissement budgétaire. Cette conception se fonde sur des travaux empiriques qui attribuent des effets positifs aux baisses des déficits budgétaires. Mais si on analyse de plus près les expériences décrites par ces travaux, on peut constater que le redressement économique constaté est dû, comme au Danemark de 1982 à 1986, à une combinaison particulière des mesures budgétaires et monétaires que la BCE ne serait probablement pas disposée à cautionner ou qu’il résulte, comme aux États-Unis dans les années 90, de circonstances indépendante de la baisse du déficit (Stiglitz, 2003, chapitre 2).
Mais même si on reconnaît à une expansion budgétaire le pouvoir d’influencer positivement l’activité économique, on peut être amené à douter de la capacité des autorités budgétaires de mettre en œuvre ce pouvoir en temps voulu. En effet on peut craindre qu’à cause de la durée nécessaire à leur mise en œuvre, les mesures budgétaires exercent des effets pro-cycliques notamment quand des cycles économiques courts se succèdent. Cet inconvénient est atténué si ces mesures interviennent dans des situations de basse conjoncture durable, comme celle que connaît l’économie européenne.
Le pacte de stabilité comme règle de politique budgétaire
Du fait de ce manque de souplesse de la politique budgétaire discrétionnaire, on peut envisager des actions fondées sur les stabilisateurs budgétaires automatiques. Dans cette optique, la politique budgétaire réagit en l’absence de choix discrétionnaires, aux variations conjoncturelles en exploitant des éléments qui sont incorporés dans les structures institutionnelles. C’est ainsi que les allocations de chômage augmentent et les recettes fiscales diminuent automatiquement en cas de ralentissement conjoncturel. Cela permet de freiner la baisse de l’activité et d’éviter une détérioration trop importante de la situation de l’emploi. Mais elles ne permettent pas d’éliminer tout le chômage induit par la baisse conjoncturelle.
Dans l’esprit de la commission européenne, la mise en œuvre du pacte de stabilité doit reposer sur le libre jeu des stabilisateurs automatiques et sur l’abandon des actions discrétionnaires. De ce fait, le pacte ne constitue pas seulement une contrainte qui limite les déficits publics, mais il édicte une règle selon laquelle la politique budgétaire doit être conduite autour d’une position d’équilibre en laissant libre cours aux stabilisateurs automatiques qui constituent le seul dispositif contra-cyclique. Cette règle permet de stabiliser les anticipations des agents économiques. Cette conception est explicitement exprimée dans les déclarations relatives à des dispositions de la constitution lors de la réunion finale de la conférence intergouvernementale du 17 et 18 juin 2004.
Pour que l’utilisation des stabilisateurs automatiques soit efficace, il faut que les éléments structurels qu’elle exploite soient développés. Cela implique que l’on reconnaisse à l’État le pouvoir d’exercer un rôle de régulation dans l’économie de marché et qu’on lui en donne les moyens. Or le projet de constitution et la pratique européenne depuis 1999 semblent vouloir réduire le rôle de l’État à ses fonctions régaliennes visant à réaliser un « espace de liberté, de sécurité et de justice », son intervention économique étant acceptée pour réaliser « un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » (article 1-3/2). Quant aux moyens dont peut disposer l’État, ils sont progressivement démantelés. Cela s’est traduit notamment en Europe par une baisse sensible du taux d’imposition des bénéfices des sociétés et par une diminution des taux d’imposition des revenus des ménages et de leur progressivité. Cette évolution résulte d’une concurrence fiscale qui est amenée à se poursuivre, car pour statuer sur les questions d’harmonisation fiscale, il faut l’unanimité du Conseil européen selon l’article III-171.
L’efficacité des stabilisateurs automatiques est également réduite par l’affaiblissement du système public de protection des chômeurs qui doit soulager les finances publiques en vue de réaliser l’équilibre budgétaire préconisé par le pacte et qui est destiné à stimuler la recherche de l’emploi et de promouvoir une main d’œuvre « susceptible de s’adapter » selon l’article L11-203 du projet de traité. Cette évolution se réalise dans la plupart des pays européens, notamment en Allemagne. Son efficacité est loin d’être prouvée. En effet les Pays-Bas et la Suède ont réussi dans les années 90 à concilier un redressement économique important et le maintien d’une protection sociale élevée.
Conclusion
En reprenant pratiquement toutes les dispositions du Traité de Maastricht, le chapitre 2 de la partie 3 du projet constitutionnel veut pérenniser, dans ses deux premières sections, une conception de la politique macroéconomique qui se distingue nettement de celle en vigueur dans d’autres grands ensembles économiques comme les États-Unis ou le Japon. Cette politique a comme objectif principal, voire unique, la stabilité des prix dont la réalisation est confiée à la banque centrale. Quant aux politiques budgétaires, elles sont considérées comme indésirables, car elles sont jugées inefficaces. De plus, elles risquent de mettre en cause l’objectif de la banque centrale, ce qui nécessite de les encadrer strictement par une règle de discipline. Seul le jeu des stabilisateurs automatiques peut être admis, mais son efficacité risque d’être réduite à cause des mesures structurelles qui ont comme effet de réduire le rôle de l’État. Comme le note Solow, la théorie qui aboutit à de telles conclusions est essentiellement élaborée en Amérique du Nord, mais elle est surtout appliquée en Europe. Or son application ne semble pas avoir eu le moindre effet sur le chômage de masse européen qui était de 8,5% de la population active en 2000 et qui se monte à 8,9% en 2004. Quant à la croissance économique, elle a été particulièrement faible dans la zone euro au cours de ces trois dernières années, ce qui contraste avec la vigueur de l’activité économique dans le reste du monde (OFCE, 2005).
En effet, à cause de son obsession anti-inflationniste, la BCE a été condamnée à une attitude prudente qui ne permettait pas de soutenir la conjoncture comme l’avait fait la banque fédérale américaine en réduisant en 2001 son taux d’intérêt directeur de 6,5% à 1,75% en 11 mois. Quant à l’encadrement strict des déficits publics, il limite l’action conjoncturelle des États et oblige même certains, comme le Portugal et les Pays-Bas en 2003, à mener des politiques procycliques en adoptant des mesures d’austérité dans des situations de basse conjoncture. De plus, il restreint la capacité dont peut disposer le secteur public de promouvoir la recherche et l’innovation qui selon les vœux formulés par la Commission européenne devrait favoriser la croissance et réduire le chômage.
Si les États ne sont plus en mesure d’utiliser l’instrument budgétaire alors qu’ils ont renoncé à leur souveraineté monétaire, ils peuvent être incités à agir dans le domaine social où ils disposent encore d’une marge de manœuvre. En envisageant une telle action, les pays européens espèrent que la réduction de la protection des salariés et un réaménagement du droit social permettront d’améliorer l’emploi et de ranimer la croissance. Mais de telles mesures qui, selon leurs promoteurs, doivent stimuler l’offre macroéconomique de biens risquent de ne pas avoir les effets escomptés sur l’emploi. En effet, le niveau d’activité d’un pays ne dépend pas seulement des conditions du marché du travail et de l’importance des coûts de production, mais aussi des débouchés escomptés par les entreprises. Or la mise en cause des acquis sociaux et l’austérité salariale risquent de défavoriser la demande de biens par leurs effets néfastes sur les anticipations des agents et sur leur pouvoir d’achat.
La pérennisation de la conception actuelle de la politique macroéconomique risque de maintenir l’Europe dans une position de faiblesse permanente et de dépendance conjoncturelle envers les États-Unis dont les responsables ont l’emploi comme objectif principal. Il aurait été sage d’exclure d’un traité constitutionnel qui doit affirmer des principes universels, comme la liberté et l’égalité des chances, des dispositions qui traduisent une conception de la politique macroéconomique dont les fondements théoriques ne sont pas admis unanimement par les économistes et dont l’efficacité ne semble pas être vérifiée empiriquement. En effet l’adoption d’une autre perspective qui résulte, dans un système démocratique, d’une simple alternance de gouvernement, nécessitera dans le cas européen la révision d’une constitution acceptée à l’unanimité.
Bibliographie
BCE (2004), « Chronologie des mesures de politique monétaire adoptées par l’eurosystème », Bulletin mensuel, n°12, p.III.
Bourrinet J. (2004), Le pacte de stabilité et de croissance, Que Sais-Je n° 3706, PUF.
OFCE (2005), « L’état de l’Union européenne », Fayard Presses de Sciences Po.
Solow R.M. (2002), « Peut-on recourir à la politique budgétaire ? Est-ce souhaitable ? » Revue de l’OFCE, octobre, n°83, p.7-24.
Stigltiz J.E. (2003), Quand le capitalisme perd la tête, Fayard.
Traité établissant une constitution pour l’Europe, Journal officiel de l’Union européenne, 16 septembre 2004.
Wyplosz C (2002), « The Stability Pact Meets its Fate », Site internet de Persee.
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